https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Ernest_Hemingway/123555
Le roman de Ernest Hemingway
Rocher ,
collection Le roman des lieux et destins magiques , (avril 2011)
Résumé
Après une partie
biographique qui traverse toute la vie de l'écrivain, G. de Cortanze revient
sur certains événements. Il retourne sur les pas de l'écrivain en Europe,
Afrique, Espagne, aux Etats-Unis et à Cuba à travers une promenade nostalgique
en compagnie de fantômes, une errance, une descente aux enfers, la mythologie
et l'histoire revisitées. ©Electre 2021
Ernest Hemingway à Cuba, en juillet 1940• Crédits : Photo by
Lloyd Arnold/Hulton Archive/Getty Images - Getty
Gérard de Cortanze est romancier, essayiste et directeur de
collection chez Gallimard. Il a consacré plusieurs ouvrages biographiques à
Hemingway, Prix Nobel de littérature en 1954 : Le Roman de Hemingway (Rocher,
2011) et Hemingway à Cuba (Gallimard, 2002). Dans ses travaux, il cherche à
montrer que l'immense écrivain ne saurait être réduit à la légende que l'on a
créée de son vivant.
Pour cette première émission d'une série consacrée à
Hemingway, nous essayons ainsi avec notre invité de démêler l'authentique de la
légende, en traversant les mille vies du grand écrivain : soldat, chasseur,
marcheur, boxeur, amoureux de Cuba, des corridas, époux et séducteur... Les
anecdotes connues sur Hemingway, les considérations sur son physique, ont
parfois eu tendance à effacer le grand écrivain. Nous croiserons dans cette
émission la route de son ami John Dos Passos, et évoquerons ses relations avec
les femmes. Si Hemingway s'est marié à quatre reprises, il dresse en effet dans
son oeuvre des portraits féminins subtils qui forment comme des doubles
oniriques de sa propre vie.
Mais c'est surtout le paradoxe d'une vie à la fois
solitaire, marquée par une fuite à travers l'alcool et l'évasion dans des
voyages rythmés de rencontres et de découvertes, qui nous intéresse pour
considérer les dessous de la légende Hemingway. Le jeune garçon, né au tournant
du siècle, a connu dans son enfance les beautés d'une Amérique sauvage, au bord
du Wallon Lake qui était encore peuplé par les Indiens. Déjà doté d'un goût
prononcé pour l'écriture, il souhaite s'engager en Europe au moment de la
Première Guerre mondiale. Il découvre ensuite le Paris de la lost generation,
que nous évoquons dans la dernière émission de cette série. Paris est, avec
Cuba, l'un des grands pôles essentiels de sa vie et de son oeuvre : il
fréquente Gertrude Stein, découvre la peinture et comprend que la littérature
est un métier.
Hemingway partait en voyage pour pouvoir écrire. - Gérard de
Cortanze
Si l'essentiel de l'oeuvre de Hemingway est conçue en-dehors des Etats-Unis, c'est sans doute parce qu'il cherche à fuir le puritanisme, l'hypocrisie, la prohibition, et un pays qu'il ne reconnaît plus. Il voyage énormément : en Afrique, en Italie - à Venise dans les années 1950, qui lui inspire Au-delà du fleuve et sous les arbres, et en Espagne. Sa passion pour la corrida se retrouve dans son écriture, mélange de "carabine et violon", et fait signe vers une violence, un héroïsme, une arrogance face à la mort, qu'il rencontre pourtant en se suicidant le 2 juillet 1961, après de longs mois de peur et de dépression.
AccueilLe Roman de Hemingway
Le Roman de Hemingway
Le Roman de Hemingway
De Gérard de Cortanze
Editions du Rocher, 2011
Description
Présentation éditeur :
"J'ai la profonde conviction qu'Ernest Hemingway reste un auteur mal connu. On ne voulut voir en lui qu'un géant chasseur de fauves, un correspondant de guerre rebelle, un dur à cuire pêcheur de monstres marins, un amateur de corridas, un boxeur primitif, un viscéral insatiable, un monument de virilité, violent et alcoolique. Cette panoplie réductrice ne le protégeait guère : sa légende faillit le dévorer. Il s'en plaignait souvent. Mon ambition est de rétablir un morceau de cette vérité derrière laquelle l'auteur du Vieil Homme et la mer courut toute sa vie. Hemingway fut un romancier puissant, un journaliste de tout premier plan, un extraordinaire nouvelliste, hanté par la phrase exacte, le mot juste, l'histoire vraie, la sincérité. Mauriac disait de lui qu'il parlait le langage de la "grande liberté". Oui, mais de la solitude aussi, de celle qui contraint chaque jour l'écrivain "à faire front à l'éternité ou à l'absence d'éternité".
Hemingway et la libertéPar Alain Roumestand le 22 avril 2018
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Quand la liberté individuelle rejoint la liberté collective.
Quand la liberté de chacun rejoint la liberté de tous.
Ernest Hemingway a écrit : « Je ne peux pas être communiste
parce que je ne crois qu’en une seule chose : la liberté. Je désire en premier
lieu m’occuper de moi et faire mon travail. Ensuite, je désire m’occuper de ma
famille. Après quoi, je souhaiterais pouvoir aider mon prochain. Mais l’état,
je m’en moque. Je suis partisan d’un gouvernement réduit au plus strict minimum.
Un écrivain est comme un bohémien, un isolé. Si c’est un bon écrivain, il
n’aimera jamais le régime sous lequel il vit. Sa plume sera contre. Il n’a
l’esprit de caste que si son talent est limité. » À propos de la révolution
cubaine qu’il connut : « La révolution cubaine est une revanche de l’Amérique
latine mais elle ne doit pas pour autant instaurer un régime qui nie les
libertés. » Tout est dit. L’homme Hemingway épris de toutes les libertés, pour
lui-même et pour les autres.
Hemingway, l’Indien libre
Hemingway, c’est d’abord vivre, dans son pays ou ailleurs :
« Je n’ai qu’une seule vie à vivre et je veux vivre où je veux. Les États-Unis
ne m’inspirent pas. J’ai un endroit superbe où je peux travailler : l’île de
Cuba. »
Dès l’enfance, il revendique cette liberté qui est dans ses
gènes : la famille de sa grand-mère paternelle a du sang indien, insiste-t-il
(à tort ou à raison). Ses parents passent, avec leurs enfants, tous les étés
dans une maison (un chalet en bois de cèdre) construite sur le territoire des
Indiens Ojibwés sur les bords du lac Walloon, dans le Michigan. La maison d’été
qu’il fréquentera jusqu’à ses 17 ans est située « entre une scierie bordant un
petit bourg et le village des Indiens, forestiers pacifiques, appartenant au
peuple algonquin. Il court pieds nus entre les grands arbres, nage, allume des
feux, déniche les oiseaux, cueille les fleurs sauvages ». Avec son père, qui a
une épouse dominatrice, lui-même inhibé par une culture puritaine qu’Hemingway
dénoncera plus tard, ce sont des randonnées, à 5 ans, sur des kilomètres et des
kilomètres. Il écrit : « Je pouvais sentir la rosée dans l’herbe et entendre le
vent dans les hautes branches des sapins, s’il y avait du vent. Et s’il n’y
avait pas de vent, je pouvais sentir le calme de la forêt et du lac. Parfois le
premier bruit était celui d’un martin-pêcheur survolant l’eau qui était si
calme qu’elle réfléchissait son image et il lançait un cri retentissant en
plein vol. »
Le jeune Ernest pêche dès l’âge de 3 ans en compagnie de son
père, chasse dès l’âge de 11 ans, avec son premier fusil offert par son
grand-père. Lorsqu’il lit le récit de l’ex-président Théodore Roosevelt sur un
safari africain, il est transporté. D.H. Lawrence, dans sa critique de De nos
jours, l’un des premiers textes d’Hemingway, note que « Nick est un personnage
qu’on rencontre dans les régions les plus sauvages et rudes des États-Unis, il
est le descendant du cow-boy et du trappeur solitaire. Aujourd’hui il a reçu
une éducation et il est revenu de tout. C’est un état d’indifférence acceptée,
consciente, à l’égard de tout, sauf de la liberté par rapport au travail et de
l’intérêt du moment. »
Hemingway l’homme libre et la mer
La chasse et la pêche vont permettre toute sa vie à
Hemingway « la diversion nécessaire à une angoisse existentielle » qui le
taraudera inlassablement. Cette liberté-là lui permet d’être, de vivre
pleinement. On comprend mieux ainsi le goût immodéré pour les escapades
multiples en Afrique, en chasseur de fauves et la pêche au gros et au long
cours, durant toute de sa vie, parenthèses exaltantes qui ponctuent son
histoire et son travail d’écriture. C’est sa liberté, c’est la liberté de
l’homme face à lui-même et à la nature. Celle que François Mauriac pointe : «
Hemingway parlait le langage de la grande liberté. »
Son œuvre la plus connue, prix Pulitzer 1953, Le Vieil Homme
et la mer, terminée à La Havane en février 1951 et publiée en septembre 1952,
met en scène l’histoire d’un vieux pêcheur, Santiago, qui lutte avec un poisson
pendant deux jours et deux nuits. Il rentre au port, bredouille, avec le
monstre marin, le marlin énorme, pêché mais dévoré sur le chemin du retour par
les requins, squelette attaché au navire, après des heures et des heures de
combat en vain. « Santiago lutte contre l’ennemi qu’il entend et devine plus
qu’il ne voit et qui vient cogner contre le fond de sa barque. »
Hemingway, en 1952, avait passé un mois entier en voyage
autour de Cuba sur son bateau, Le Pilar, pour la pêche au gros, barracudas, requins,
espadons, raies. Il était avec Gregorio Fuentes, matelot à bord du bateau, que
l’on voit poser aux côtés d’Hemingway et d’un marlin blanc, et qui l’inspirera
pour son personnage de Santiago. Le Pilar, il l’a acheté aux chantiers navals
Wheeler Shipyard à Brooklyn, pour 3 000 dollars et il l’ancrera à Cuba,
Cojimar, Baracoa et Mariel. « Il a été construit pour être un instrument de
pêche et un bon bateau par les temps les plus rudes et avoir une autonomie de
croisière minimale de 500 miles », comme il l’écrit dans Le Grand Fleuve bleu.
C’EST CELA AUSSI LA LIBERTÉ D’HEMINGWAY, DE FRÉQUENTER EN
AMITIÉ VIRILE, LES DÉCLASSÉS, LES SANS-GRADES, L’HUMANITÉ DANS SA DIVERSITÉ
Le frère d’Hemingway décrit un « Ernest qui s’était fait des
amis parmi tous les pilotes du port de La Havane, mais il ne pouvait tout de
même pas gagner la sympathie de tous les trafiquants, videurs de poubelles et
bandits qui rôdaient dans le port, sur leurs barques ou leurs petits canots –
moteur, à l’affût des bateaux mal gardés par leurs équipages. Ce printemps-là,
une consigne circula à La Havane : le premier qui s’emparera du Pilar aura les
honneurs de tout le quartier de Regla, le plus pauvre de tout le port. » C’est
cela aussi la liberté d’Hemingway, de fréquenter en amitié virile, les
déclassés, les sans-grades, l’humanité dans sa diversité. Et Hemingway de
comparer la mer à « une prostituée qu’on ne peut aimer d’amour mais pour
laquelle on éprouve beaucoup d’affection et qu’on continue à fréquenter bien
qu’elle vous ait donné la chtouille et la vérole ».
En 1958, Le Vieil Homme et la mer est sur les écrans, dirigé
par John Sturges et incarné par Spencer Tracy. Le film, commencé en avril 1953,
voit Hemingway lui-même participer au tournage des séquences de pêche en 1955,
après être rentré d’un safari africain, sur de grands espaces « qui ne
confisquent pas la liberté », face à des animaux de gros calibre (lions,
buffles, rhinocéros) et après s’être sorti de deux accidents d’avion, toujours
sur le continent Afrique.
Mais cette liberté si chère, Hemingway ne va pas la vivre
uniquement dans les dérivatifs d’activités physiques et centrées sur soi.
Hemingway lit beaucoup, travaille beaucoup, vit beaucoup, boit beaucoup, mange
beaucoup, aime beaucoup. Mais, comme l’écrit Gérard de Cortanze, qui lui a
consacré de belles publications : « Hemingway c’est un chasseur de fauves, un
pêcheur au long cours, un amateur de corridas, un boxeur, un viril, un violent,
un alcoolique, mais aussi un correspondant de guerre, un romancier puissant, un
journaliste de tout premier plan, un extraordinaire nouvelliste hanté par la
phrase exacte, la vérité. Il n’écrit que sur ce qu’il connaît. »
Hemingway l’Italien
Le jeune Hemingway a rapidement délaissé ses études
universitaires, par besoin de liberté personnelle, et a obtenu très tôt un
emploi de « faits-diversier » au Kansas City Star.
Dès 1917, il veut se battre en Europe, là où il sent un
combat qui ne peut que motiver un Américain. Et c’est sa mauvaise vision d’un
œil qui empêche l’enrôlement. Il s’engage alors dans la Croix-Rouge. En 1918,
il est à Paris bombardée par l’artillerie allemande. Et il gagne l’Italie au
front des combats où il est gravement blessé : en juillet, dans la nuit, près
de Fossalto di Piave, un tir de mortier le blesse à la jambe droite (227
éclats) et un tir de mitrailleuse l’atteint alors qu’il ramène à l’arrière un
camarade de combat. Il passe trois mois dans un hôpital de Milan.
Cette Première Guerre mondiale va lui inspirer L’Adieu aux
armes, un amour tragique entre un ambulancier américain incorporé dans l’armée
d’Italie et une infirmière anglaise, roman dans lequel il dénonce la guerre
destructrice, son absence de sens, le cynisme des soldats, les déplacements
tragiques des populations. L’histoire sera portée à l’écran en 1957 dans un
film de Charles Vidor avec Rock Hudson. Hemingway a bien ressenti ce que les
Américains engagés dans cette Première Guerre mondiale ont vécu : « Un départ
héroïque au combat, la grande boucherie de la guerre avec ses victimes
misérables, ses chefs indigents. » Et il perçoit le coup fatal porté aux idéaux
de gloire, d’honneur, de patrie et de liberté qui étaient les leurs de l’autre
côté de l’Atlantique.
En 1921, Il est envoyé par son journal, le Toronto Star,
auprès des troupes grecques en Anatolie à Inönii pour couvrir les guerres
gréco-turques : « Ces mulets, avec leurs pattes brisées dans cette eau peu
profonde, en train de se noyer. » La retraite des troupes grecques l’horrifie !
De nouveau de passage en Italie, il interviewe Mussolini : «
Je m’approche de lui pour voir le livre qu’il semble lire avec intérêt. C’est
un dictionnaire français-anglais tenu à l’envers. » C’est le premier contact
qu’il a avec le fascisme européen. « Le fascisme est toujours le fait de gens
déçus. J’ai assez bien connu Mussolini… Il était impossible de ne pas se
souvenir de lui comme un lâche à la guerre et comme un journaliste malhonnête.
»
Hemingway l’Espagnol révolté
En 1923, il fait un reportage, toujours pour le Toronto
Star, dans la Ruhr occupée par les Français. Puis il visite l’Espagne où il
découvre les courses de taureaux. Il reverra l’Espagne en mai 1931, alors que
la République a été proclamée en avril. Il reprend le manuscrit de Mort dans l’après-midi.
En 1934, il écrit l’introduction au catalogue de l’exposition à New York des
œuvres de son ami Luis Quintanilla, socialiste emprisonné pour avoir participé
à la révolte des Asturies en octobre. En juillet 1936, c’est le pronunciamiento
des militaires contre la République et Hemingway se passionne pour les
événements de la péninsule ibérique. Il va mettre la main à la pâte, d’abord en
finançant deux volontaires pour l’Espagne républicaine puis en contribuant à
l’achat de deux ambulances.
En 1937, il signe pour un poste de correspondant de guerre
en Espagne avec la North American Newspaper Alliance. Il est le porte-parole du
bureau de l’Association des amis de la démocratie espagnole. Il rencontre
l’autre grand écrivain américain, John Dos Passos, et ils mettent au point un
projet de film documentaire destiné à aider les Républicains. Il est à
Barcelone après le raid de l’aviation franquiste. Puis c’est le champ de
bataille de Guadalajara, les Républicains se battant contre les troupes de
Mussolini. En pleine guerre civile, il fait de sa chambre à l’hôtel Gaylord à
Madrid un centre d’accueil où amis, journalistes, viennent prendre un verre,
manger, « le bruit des machines à écrire se mêlant à la musique d’un
phonographe ». Ilya Ehrenbourg, écrivain soviétique, dira de lui : « On aurait
dit qu’il faisait la guerre pour son propre compte ». La république qu’il
défend a ses propres valeurs de liberté face au « nazisme anthropophage et
liberticide ». C’est « une guerre qui réveille les consciences du monde ».
HEMINGWAY : « L’ÉCRIVAIN EST SUR TERRE POUR ACCOMPLIR UNE
MISSION, QUE LE TALENT NE SUFFIT PAS S’IL NE SE DOUBLE PAS D’UNE CONSCIENCE »
Dans For whom the bell tolls (Pour qui sonne le glas), en
1940, Robert Jordan (interprété au cinéma par Gary Cooper dans le film de Sam
Wood qui en sera tiré), c’est Hemingway, sans idéologie, avec honnêteté, qui
vit « l’aventure de sa vie ». Il écrit : « Ce n’est pas la liberté, de ne pas
enfouir les ordures qu’on fait. Il n’y a pas d’animal plus libre que le chat, mais
il enterre ses saletés. Le chat, c’est le meilleur anarchiste. » Ou encore : «
Je t’aime comme j’aime la liberté et la dignité et le droit de tous les hommes
de travailler et de ne pas avoir faim. (…) Nul homme n’est une île complète en
soi-même : tout homme est un morceau de continent, une part du tout… La mort de
tout homme me diminue parce que je suis solidaire du genre humain ; et donc en
conséquence n’envoie jamais demander pour qui sonne le glas ; il sonne pour
toi. » Robert Jordan dit que « le monde vaut la peine qu’on se batte pour lui,
vaut la peine qu’on meurt pour lui ». Hemingway pense que « l’écrivain est sur
terre pour accomplir une mission, que le talent ne suffit pas s’il ne se double
pas d’une conscience ». Il cesse d’être chrétien avec les atrocités commises
par les catholiques lors de cette véritable guerre civile, tout en montrant les
Rouges du village de Pilar qui tuent les fascistes à coup de fléau et les
jettent dans la rivière, du sommet d’une falaise.
Avec Joris Ivens, cinéaste et producteur hollandais, il
participe à la préparation d’un film documentaire sur la vie d’un village :
Terre d’Espagne. Il écrit le commentaire. Et on le voit poser aux côtés de
Joris Ivens et de Werner Heilbrun, médecin, dans les tranchées de l’université
de Madrid. Il obtient l’appui financier d’amis américains pour envoyer
ambulances, matériel sanitaire, équipements de secours. Il fait lui-même un don
de 40 000 dollars au gouvernement républicain. Et il s’indigne de l’American
Neutrality Act qui empêche toute intervention gouvernementale de son pays. Au
Carnegie Hall de New York, il vilipende le fascisme avec la League of American
Writers. Il publie des interviews de volontaires U.S. dans les Brigades
internationales venus combattre avec les Républicains espagnols. Dans l’attente
d’une offensive qui ne viendra pas, il écrit son unique pièce de théâtre La
Cinquième Colonne. Il publie En avoir ou pas, tiré à 10 000 exemplaires, qui
donnera le film d’Howard Hawks. L’écriture de ce roman a été précédée par une
constatation : « un seul homme est foutu d’avance », en posant que
l’individualisme ne sert à rien, ce qui le pousse à s’engager.
Des nouvelles écrites sur le champ jalonnent ces années
espagnoles. Personne ne meurt jamais est l’histoire d’une jeune femme dont tous
les frères sont morts dans la guerre de libération d’Espagne et qui résiste
héroïquement au régime militaire liberticide au pouvoir à Cuba. Dans En
contrebas, on voit que le combat pour la liberté n’est pas une promenade
romanesque et élégiaque. La scène est une colline dans le secteur de Jarama où
la 12e brigade mène une attaque pour libérer un territoire et qui échoue. Dans
Veillée d’armes, son héros s’exprime ainsi : « Maintenant me remémorant ce qui
s’était passé, je me rendais compte que cela avait été un bain de sang comme
celui de la Somme. C’était bien l’armée du peuple qui avait l’initiative. Mais
elle attaquait de telle manière que cela ne pouvait aboutir qu’à un seul
résultat : sa propre destruction. (…) La mort c’est simplement dégueulasse,
c’est du gaspillage. (…) Bien des choses peuvent mettre en colère un homme et
l’idée qu’il va mourir, que lui va mourir pour rien, en est une. Pourtant je
crois qu’être en colère c’est encore ce qu’il y a de mieux pour partir à
l’assaut. »
Dans les combats, on prend Hemingway pour un Russe avec son
allure, son aspect physique : « Et pourquoi détestes-tu les Russes ? Parce
qu’ils sont les représentants de la tyrannie et parce que je ne peux pas voir
leurs sales gueules. »
Une lettre écrite à Key West Floride, en 1937, en dit long
sur l’engagement d’Hemingway : « Ça m’ennuie énormément de partir mais on ne
peut préserver son bonheur en s’efforçant de prendre soin de lui ou en le
mettant dans la naphtaline et depuis longtemps moi et ma conscience savions que
je devais aller en Espagne… Il se peut que les Rouges soient aussi mauvais
qu’on le dit mais ils sont le peuple espagnol contre les propriétaires terriens
absentéistes, les Maures, les Italiens et les Allemands. (…) Je ne crois pas
gagner de l’argent avec les souffrances d’autrui ; d’où les ambulances avec
l’argent donné au gouvernement. » Une autre lettre écrite de Marseille en 1938
règle des comptes avec un autre écrivain engagé, André Malraux : « Je vais
m’installer pour écrire et les couillons et truqueurs comme Malraux qui s’est
tiré en février 37 pour écrire de gigantesques chefs-d’œuvre (avec le jeu de
mot sur chefs-d’œuvre, en anglais “masterpisses”) (…) Avant que ça ait vraiment
commencé, recevront une bonne leçon quand j’écrirai un livre de taille normale
ne contenant rien de truqué. » Il écrit à sa mère en 1939 : « Quand je lis dans
le Sunday Visitor des articles sur l’humanité du général Franco qui aurait pu
terminer la guerre il y a des mois, s’il n’avait pas craint de faire du mal à la
population civile, après avoir vu ville après ville, rasées par ses
bombardements, leurs habitants tués, les colonnes de réfugiés sur les routes
bombardées et mitraillées !! » Pour enfoncer le clou, il écrit à Ivan Kashkin
(traducteur et critique) la même année : « Les gens du genre de ceux qui n’ont
rien fait pour défendre la République espagnole éprouvent maintenant un grand
besoin de nous attaquer, nous qui avons essayé de faire quelque chose, afin de
nous rendre ridicules et de justifier leur égoïsme et leur lâcheté. Et comme
après nous être battus aussi bien que possible et sans penser à nous, nous
avons perdu, ils disent maintenant combien il était stupide de nous battre. »
Hemingway et la libération de l’Europe
Pour Hemingway, la guerre d’Espagne a été de bout en bout «
la répétition générale de l’inévitable guerre européenne ». Et même s’il est
déçu par la manière dont les Français ont traité la République espagnole, ce
qui fait qu’il ne se sent « aucune obligation de se battre pour les Français »,
Hemingway va participer en France au débarquement de Normandie, le 6 juin 1944,
mais sans aller à terre, et à la libération de Paris, à sa place mais
pleinement à sa place, après avoir accompagné des pilotes de la RAF anglaise.
Attaché au 22e régiment d’infanterie qui file vers Paris, il se retrouve
commander un groupe de combattants FFI et pose problème aux autorités, car,
officiellement, il est correspondant de guerre pour le compte du magazine
Collier’s.
Présent à Paris lors de sa libération, il intervient au
Ritz, occupé par les Allemands, au Café de la Paix. Puis il participe au combat
de la forêt de Hürtgen et à la bataille des Ardennes. Il signe ses lettres à
Mary Welsh, sa femme, d’un « ton grand ami correspondant de guerre » et trouve
que « la France est amusante maintenant. Je veux dire maintenant que nous en
avons libéré de vastes zones sans destruction, ayant utilisé intelligemment
infanterie, aviation, blindés ».
HEMINGWAY AVAIT MÊME CRÉÉ UN RÉSEAU DE CONTRE-ESPIONNAGE
CONTRE LES SYMPATHISANTS FRANQUISTES ET NAZIS À CUBA, LE RÉSEAU CROOK FACTORY
(« L’USINE-ESCROC »)
1944 est aussi la date du tournage du film Le Port de
l’angoisse d’Howard Hawks, avec les mythiques Humphrey Bogart et Lauren Bacall,
tiré de En avoir ou pas. En Martinique vichyste, le patron pêcheur, Harry, loue
son bateau à de riches touristes américains pour la pêche. Il se retrouve dans
la Résistance française face à la police de Vichy. Dans le roman qui ne se
passe pas en Martinique mais à Cuba, le jeune révolutionnaire dit à Harry, le
héros : « Vous ne savez pas combien c’est terrible ce qui se passe à Cuba. Vous
n’imaginez pas à quel point c’est la tyrannie absolue, l’assassinat légal. »
Avant cette année phare de 1944, il avait accompagné sa
femme Martha Gellhorn qui couvrait la guerre sino-japonaise dans une Chine
exsangue. Il publie des articles dans un quotidien proche des idées
communistes.
En 1942, depuis Cuba et sa propriété de la Finca Vigia, il
avait proposé à l’ambassade américaine de créer une officine d’espionnage
privée, tout en patrouillant sur son bateau, Le Pilar, pour chasser les
sous-marins allemands dans les Caraïbes. Le Pilar est « déguisé » en navire
espion avec canon, mitrailleuse, explosifs ; il veut sauver l’Amérique et la
démocratie. Des extraits de L’Adieu aux armes et Pour qui sonne le glas avaient
paru dans un recueil dont il avait fait la préface : Hommes de guerre.
Hemingway avait même créé un réseau de contre-espionnage contre les
sympathisants franquistes et nazis à Cuba, le réseau Crook Factory («
l’Usine-Escroc ») contre l’avis d’ailleurs du FBI américain, très hostile face
à ce « dangereux anti-libéral ».
Des nouvelles s’appuyant sur ces faits d’armes pour le
rétablissement des voies de la liberté seront écrites par Hemingway « à propos
de ce bon vieux temps avec les Irréguliers, les FFI qui fut une époque très
mouvementée de ma vie, la plus heureuse et la pire que j’ai jamais connue ». Ce
sera, entre autres, Cafard au carrefour, histoire fictive d’une embuscade
tendue à des Allemands en fuite sur la route d’Aix-la-Chapelle. Il avait dit
que son engagement comme correspondant de guerre avec les alliés offrait « de
la matière pour un livre merveilleux ». En fait, ce ne furent que quelques
pages dans son beau roman Au-delà du fleuve et sous les arbres et un reportage
très réussi, En route pour la victoire.
Hemingway le Cubain
Ernest Hemingway et Fidel Castro.
Revenu très lucide de l’enfer de la guerre, auréolé du prix
Nobel de littérature en 1954, il va s’installer à Cuba où il va passer beaucoup
de son temps, près de La Havane, dans sa Finca Vigia louée dans un premier
temps par sa femme Martha Gellhorn et achetée en 1940.
Il va connaître le changement de régime avec la guérilla
entre le dictateur Batista et Fidel Castro. Hemmie, comme l’appellent ses amis,
vit au milieu des manguiers, des palmiers, des hauts murs blancs de sa
propriété à San Francisco de Paula, autour de la fontaine de whisky du
Floridita, avec les coups de poings échangés à La Bodeguita del medio, au «
paradis sous les étoiles » du casino, au rythme de Nat King Cole.
En 1957, les soldats de Batista perquisitionnent de nuit la
Finca, à la recherche de caches d’armes pour les opposants castristes. Les
soldats abattent Blackdog, le chien préféré d’Hemmie : « Chien Noir, vieux et à
moitié aveugle, essayait de monter la garde à la porte de la Finca. Un soldat
l’a tué à coups de crosse. Pauvre vieux Chien Noir, il me manque. Il n’est plus
là le matin quand je travaille, allongé à côté de ma machine à écrire. » En
novembre 1958, il écrit à son fils Patrick : « Cuba est vraiment moche
maintenant… Les deux côtés atroces l’un et l’autre. Sachant le genre de choses
et de meurtres qui vont continuer, quand les nouveaux arrivants verront les
abus de ceux qui sont en place maintenant, j’en ai marre. »
Il traite Batista de « hijo de puta ». Il sait que Fidel
Castro a lu Pour qui sonne le glas. Et, en mai 1960, lors d’un concours de
pêche, Hemmie remet le trophée gagné à Fidel Castro, ce qui donnera une photo
largement utilisée par le nouveau pouvoir pour montrer Hemingway l’Américain et
Castro côte à côte. Au Floridita, il reconnaît devant des amis « la révolution
honnête » menée par les Barbudos, « la meilleure chose qui soit arrivée à Cuba
». Il parle de « nécessité de la révolution cubaine ». Mais « vus tous les
intérêts US à Cuba, espérons que les Américains ont fait tout leur possible
pour essayer de donner pour la première fois leur chance aux Cubains ». Dès le
début, il « prie le ciel que les USA ne stoppent pas leurs achats de sucre. Ce
serait la fin de tout. Cela reviendrait à faire cadeau de Cuba aux Russes. »
Partisan du premier Castro aux portes du pouvoir et dans les
premiers mois de l’exercice du pouvoir, il va très vite réclamer la liberté au
second Castro arrimé au pouvoir. Il quitte Cuba au moment où les Barbudos
castristes entrent dans le processus de parti unique qui va fossiliser l’île.
Et lorsqu’en janvier 1961 la rupture entre les États-Unis et Cuba est
consommée, il écrit : « Castro ne s’en prend pas particulièrement à moi, je lui
fais une bonne publicité, alors il ne me fera peut-être jamais d’ennui et me
laissera vivre ici. Mais je suis avant tout américain et on humilie mon pays. »
Hemingway et la liberté suprême
Le 2 juillet 1961, Hemingway, qui n’avait pas ménagé son
corps durant sa vie aventureuse, avec force commotions cérébrales, brûlures,
entailles, fractures, atteint de longue date par une cirrhose, une hypertension
artérielle, depuis peu par la difficulté de s’exprimer, l’absence d’appétit,
l’amaigrissement, le désintérêt pour tout, se tue avec sa carabine. Liberté
suprême qu’il s’est octroyée : décider seul de sa propre mort, de mettre fin en
toute liberté à sa vie. L’homme qui avait eu un goût prononcé du travail, qui
avait fait preuve d’une rigueur intellectuelle et morale rare, qui avait mené
une vie pleine de sens, s’éteint donc brusquement, viscéralement attaché à sa
liberté.
LIBERTÉ SUPRÊME QU’IL S’EST OCTROYÉE : DÉCIDER SEUL DE SA
PROPRE MORT, DE METTRE FIN EN TOUTE LIBERTÉ À SA VIE
Viscéralement attaché à la liberté : il a eu quatre épouses,
Hadley Richardson, Pauline Pfeiffer, Martha Gellhorn, Mary Welsh dont il dira :
« Avec Mary lorsque nous couchions ensemble il suffisait que nos pieds
s’effleurent et c’était comme si nous faisions l’amour. Vous savez que si vous
aimez quelqu’un c’est seulement de son plaisir que vous êtes heureux. » Mais en
avouant toutefois vivant dans l’adoration absolue de ses femmes et la plus entière
liberté : « J’évite la sentimentalité ; les animaux s’accouplent sans émotions
trop délicates. Pas de doucereux soupirs à l’acte sexuel. Les hommes mangent
les femmes. Les femmes mangent les hommes. »
Viscéralement attaché à la liberté des autres dans ces
combats d’un XXe siècle de séismes politiques, il n’en néglige pas pour autant
la défense de la liberté de ses amis de l’autre camp. Comme le lecteur peut le
voir dans l’une de ses lettres importantes en 1956 à Ezra Pound, grand poète et
musicien américain mais apologiste du fascisme italien, devenu antisémite et
anti-Américain, arrêté en 1945 par les troupes américaines : « Pendant la
guerre, j’ai eu les enregistrements de tes émissions de radio et parfois quand
j’étais de service à l’écoute je t’ai entendu. Je ne les aimais pas du tout et
certaines fois je les aimais encore moins… Mais je ne peux supporter que tu
sois détenu alors que d’autres qui ont travaillé contre leur pays ont été
libérés en Angleterre. »
À lire, en plus des grands romans cités :
Nouvelles complètes, Hemingway, Gallimard.
Hemingway à Cuba, Gérard de Cortanze et Jean-Bernard Naudin,
éditions du Chêne.
Le Roman d’Hemingway, Gérard de Cortanze, éditions du
Rocher.
À voir :
Hemingway et Gellhorn, film de Philip Kaufman avec Clive Owen et Nicole Kidman.
https://the-dissident.eu/dossiers/hemingway-et-la-liberte/
Hemingway à Cuba (Français) Poche – 24 avril 2002
Détails sur le produit
Éditeur : Gallimard (24 avril 2002)
Langue : Français
Poche : 193 pages
Description du produit
Quatrième de couverture
"Après plusieurs incursions sur les côtes cubaines,
Hemingway loue, en avril 1932, une chambre à l'hôtel Ambos Mundos, à La Havane,
où il écrira de nombreux articles et son roman Pour qui sonne le glas.Sept ans
plus tard, Martha Gellhorn, qu'il a rencontrée en Espagne pendant la guerre
civile, trouve près de La Havane, à San Francisco de Paula, une maison de style
colonial espagnol : la Finca Vigía. Au milieu de ses vastes bibliothèques,
parmi soixante-sept chats et chiens, entouré de tableaux qu'il aime, de ses
fétiches africains et de ses trophées de chasse, il y écrit, dans la douleur,
une oeuvre. Quand il ne pêche pas, il assiste à des parties de pelote basque,
pratique le tir au pigeon au Club du Cerro, retrouve ses amis américains et ses
chers pêcheurs cubains. Il ne quittera Cuba qu'en juillet 1960. Un an plus
tard, il se suicidera.Il avait passé trente ans de sa vie à Cuba. Ce livre est
l'histoire d'une rencontre entre un écrivain et un pays."Gérard de
Cortanze.
Biographie de l'auteur
Gérard de Cortanze a publié une cinquantaine de livres, parmi lesquels des romans, des récits autobiographiques dont "Spaghetti !" et "Miss Monde" (collection Haute Enfance), ainsi que des essais consacrés à Auster, Semprun, Hemingway, Sollers, Le Clézio... En 2002, il a obtenu le prix Renaudot avec "Assam". Descendant d'une illustre famille aristocratique (les Roero Di Cortanze) par son père, et de Michele Pezza (plus connu sous le nom de Fra Diavolo) par sa mère, cet ancien coureur de 800 mètres a fait de l'Italie en général et du Piémont en particulier la matière première de son oeuvre littéraire, notamment dans son cycle romanesque des "Vice-rois". Il collabore au "Magazine littéraire" et dirige la collection Folio Biographies aux Éditions Gallimard.
Quand Hemingway acheta 43.345 mètres carrés de territoire
cubain.
jeudi 26 juin 2014
par Michel Porcheron
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La Finca Vigia – que Hemingway, avec Martha Gellhorn, sa
troisième épouse, commença à occuper il y a 75 ans- est une des plus belles
maisons d’écrivains au monde. Elle a conservé sa magie. Dès le lendemain de la
mort de Ernest Hemingway (juillet 61) à Ketchum, Mary Welsh, sa veuve et les
autorités cubaines au plus haut niveau, avaient trouvé un accord – toujours
respecté – pour sa conservation et sa transformation en musée ouvert au public.
« Vous n’avez pas le droit de pénétrer dans les locaux, mais
l’agencement des fenêtres et l’intelligente architecture de cette demeure,
permettent de tout scruter, tout comprendre » (Philippe Labro) .
Hemingway acheta la Finca Vigia à un (riche) français
Par Michel Porcheron
Ernest Hemingway n’avait pas attendue d’être séparée de
Pauline Pfeiffer, sa deuxième épouse, en septembre 1939, pour s’installer
définitivement à Cuba. Depuis plusieurs années il avait découvert l’Ile par sa
passion pour la pêche et dès avril 1932, chaque fois qu’une partie de pêche le
conduisait de Key West à La Havane, il avait choisi un hôtel modeste, El Ambos
Mundos , rue Obispo, où une chambre, la 511 allait lui être réservée en
permanence par le directeur Manolo Asper.
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Début 39, il l’occupe à plein temps. Il travaille sur son
manuscrit de Pour qui sonne le glas.
Martha Gellhorn, journaliste
(sa liaison avec E.H avait commencé durant la guerre d’Espagne) le
rejoint à Cuba. Par discrétion, elle descend au Sevilla Biltmore.
Elle part à la recherche d’une maison, plutôt dans les environs de la capitale. Elle finit
par trouver en avril 1939 une demeure, « quelque peu délabrée, de plain-pied,
vaste et fraîche », selon l’auteur (1) Gérard de Cortanze (GdC), qui ajoute : «
Elle rénove les bâtiments en ruine avec ses fonds personnels et s’y installe.
Hemingway la rejoint, mais continue de faire suivre son courrier à l’Ambos
Mundos –pour sauver les apparences ».
Le couple commence par la louer – la maison s’appelle La
Finca Vigia-- pour cent dollars par
mois, et ce jusqu’en décembre 1940.
A la fin du XIX e siècle, le terrain avait été acheté par un
architecte catalan Miguel Pascal y Baguer qui allait y construire sa maison
familiale. La commune est San Francisco de Paula, à une quinzaine de km de La
Havane : un ancien ermitage édifié au XVIII e siècle par un colon canarien,
Agustin Francisco de Arocha (GdC), avec autour un village de pauvres
baraques.
La Finca Vigia est de « style colonial, elle a de hauts
plafonds, des sols en carrelage, une immense salle de séjour »
Grâce au succès de
librairie de Pour qui sonne le glas (publié en octobre 40) et aux droits
d’adaptation au cinéma du roman (film de Sam Wood, avec Gary Cooper et Ingrid
Bergman, 1943), Hemingway est en mesure d’acheter la Finca Vigia.
En novembre 40, il divorce de Pauline Pfeiffer, sa deuxième
épouse, il épouse deux semaines plus tard Martha Gellhorn (le 21 novembre, à
New York) et le 22 janvier 1941 est
signé officiellement l’acte d’achat de la Finca Vigia devant notaire, el Doctor
Mario Recio y Forns. L’achat avait été conclu le 21 décembre 1940.
Le vendeur est un
Français, mais que des habitants de San Francisco de Paula appellent Mister
Dorn, selon l’habitude cubaine d’alors de considérer tous les riches étrangers
comme des Nord-américains. Hemingway découvre que le nom du vendeur est Roger
Joseph d’Orn Duchamp de Chastaigne, propriétaire de biens immobiliers.
Le journaliste cubain Norberto Fuentes (Hemingway en Cuba,
Ed.Letras Cubanas) retrouva l’original
de l’acte dans une salle de documents, rue Prado (tomo 239, folio 41 del
Registro de la Propriedad Unificada de Guanabacoa). En effet le cadastre de la
municipalité avait été détruit dans un incendie en 1940.
Selon l’auteur cubain, « sans aucun doute, le langage
archaïque officiel de ce texte a exaspéré Hemingway qui stoïquement a attendu
que le notaire en termine la lecture ».
Le prix officiel de la Finca Vigia ? 18.500 pesos cubanos
(souligné dans l’original). Ce qui permet à Norberto Fuentes d’affirmer que le
biographe majeur de E.H, Carlos Baker a fait une erreur quand il a indiqué que
le coût fut de 12.500 pesos.
Roger Joseph d’Orn est né en France, il est citoyen
français, il réside à Cuba, domicilié au n°3 de la Calzada de Concha à La
Havane. Marié, son épouse s’appelle Angèle d’Orn. Sa carte d’identité
d’étranger porte le n° 100.497.
Le chèque de E.H. est de la Trust National Bank of Boston,
succursale de Aguiar y Lamparilla de La Havane.
Domicilié à Saint Louis, Etats Unis, el señor Ernest
Hemingway n’a pas de carte d’étranger à Cuba, étant touriste.
Frais administratifs : 300 pesos.
Au total, Hemingway
venait d’acquérir 43.345 mètres carrés de territoire cubain.
« Quand un type comme moi, qui pourrait habiter où il veut
dans le monde, déclara un jour Hemingway, choisit de vivre ici, les gens
veulent savoir pourquoi, naturellement. En général, je ne me donne pas la peine
d’expliquer. C’est trop compliqué ».
La Finca vue par un écrivain
français
L’écrivain et journaliste Philippe Labro, il y a quelque
temps, passait par Cuba. Dans une chronique du Figaro il écrivait notamment :
« Surtout, le moment d'avide curiosité de ce bref interlude
cubain, fût la visite de Finca la Vigia de mon cher Ernest Hemingway. Pour qui
s'est nourri et inspiré de cet orfèvre prosateur qui a su exercer le meilleur
journalisme pour se muer en un romancier et nouvelliste d'exception, avoir pu
arpenter les 9 hectares de la propriété transformée en musée, et voir de près
la fameuse machine à écrire Royal, les meubles, objets, trophées de chasse, du
maître en écriture, aura constitué un épisode euphorisant. Tout a été conservé
dans son jus(…)
Des maisons d'écrivains, j'en ai visité quelques-unes. Mais
Finca la Vigia à Cuba, à 15 km de La Havane, m'a procuré une sensation inédite,
comme si l'énergie, l'ambition, la faim et soif de vie du géant faisaient
encore vibrer ces murs et trembler l'acajou cubain - le plus dur au monde, celui
que les termites ne peuvent le ronger. Aucun termite ne peut détruire la
mémoire d'un grand écrivain, ses mots et ses phrases survivent à tout ».
Note
(1)- Dans son livre « Hemingway à Cuba », Gérard de Cortanze
évoque l’emblème de la Finca (qui fait la couverture de « Hemingway en Cuba »
de Norberto Fuentes) : les barres horizontales du bas symbolisent le grade de
capitaine qui fut celui de Mary Welsh et de Hemingway pendant la Seconde guerre
mondiale. Au dessus , une flèche de la tribu Ojibway. Son territoire était
celui de l’enfance du petit Ernest, le Michigan et le Minnesota. Au dessus
encore, trois V inversés, trois
montagnes, Montparnasse, Montmartre et la montagne Sainte- Geneviève. Trois
montagnes parisiennes et les trois collines qui entourent la Finca.
https://cubacoop.org/spip.php?page=article&id_article=1652&lang=fr
(mp)
Des
Américains à Paris : De Benjamin Franklin à Ernest Hemingway (Français)
Broché – 18 mai 2004
de René Maurice (Auteur)
étails sur le produit
Éditeur : Sextant (18 mai 2004)
Description du produit
Quatrième de couverture
Dès la constitution de leur pays, Paris a attiré les
Américains. Paris a été pour nombre d'entre eux une étape, le lieu d'une
rencontre décisive dans leur carrière, dans leur oeuvre, dans leur vie. Ils ont
choisi la capitale pour des raisons professionnelles, politiques, ou simplement
par envie. Aucun ouvrage jusqu'à présent, sinon des biographies diverses, n'a
proposé une histoire complète, globale des Américains à Paris, les plus
célèbres mais également les oubliés.
L'ouvrage de René Maurice retrace des destins individuels et
des trajets de communautés particulières (par exemple, les 400 architectes
américains venus aux Beaux-arts en 1867 et 1914, les lesbiennes entre 1900 et
1930, etc.), et il propose aussi de façon originale et inédite une histoire des
relations entre les Etats-Unis et la France sur plus de deux siècles à travers
une étude, très documentée, quasi exhaustive de la présence américaine à Paris
rendue vivante par de nombreuses anecdotes et « petits faits vrais ».
Ainsi, par exemple, de nombreuses femmes américaines se sont
installées à Paris au début du XXe siècle, cherchant une émancipation qu'elles
ne pouvaient trouver dans leurs pays. De même les Noirs Américains, venus
respirer une liberté qu'ils ne devaient conquérir que 50 ans plus tard avec
Martin Luther King, fuyant les ghettos et la ségrégation. Libération aussi de
l'imagination : la découverte par Gertrude Stein de Picasso et Matisse, la
publication d'Ulysse de Joyce grâce à Sylvia Beach, ou la transformation du
journaliste Hemingway en écrivain.
Ce volume comprend 17 chapitres, de Benjamin Franklin à
Ernest Hemingway. Un découpage naturel qui s'arrête à la crise économique de
1929 quand les Américains présents à Paris retournent massivement dans leur
pays.
Biographie de l'auteur
René Maurice est historien et écrivain. Il vit dans la banlieue parisienne, à Fontenay-sous-bois. Son dernier ouvrage paru La Fugue à Bruxelles (Editions du Félin), publié en 2003, a obtenu un bon succès médiatique. Il a publié, également, Guédelon, le château de la mémoire, L'Hermione, la frégate de la liberté, (aux Éditions du Gulf Stream), Les Années de plomb, sur la Résistance (Éditions FNV). Il est coauteur de plusieurs Guides Gallimard dont Paris Aller-Retour, et également chez Hachette.
Présentation
Hemingway attachait plus d'importance à ses «histoires», ses nouvelles, qu'à ses romans. Écrire une bonne histoire, encore une bonne histoire, fut l'obsession de sa vie, les lettres publiées ici en témoignent. C'est là qu'il atteint la concision - son idéal d'écriture formulé très tôt -, et qu'il obtient ce qu'il vise : la synthèse de l'imaginaire et de l'expérience vécue. «La seule écriture valable, c'est celle qu'on invente, celle qu'on imagine.»78 nouvelles sont réunies dans ce volume : toutes celles qu'il publia de son vivant en recueils ; mais aussi les nouvelles, esquisses et fragments parus dans des revues ou qui ont été retrouvés dans ses papiers après sa mort.
Ernest Hemingway,Nouvelles complètes,Gallimard,Quarto,1999
Musée Ernest Hemingway de Cuba
Musée Ernest Hemingway de Cuba
ou Finca La Vigía
Image dans Infobox.
Salon de la Finca La Vigía
Collections
Collections
Demeure et objets de la vie d'Ernest Hemingway
Localisation
Pays
Flag of Cuba.svg Cuba
Commune
San Francisco de Paula à 11 km de La Havane
Coordonnées
23° 04′ 04″ N, 82° 17′ 47″ O
Géolocalisation sur la carte : Cuba
(Voir situation sur carte : Cuba)Point carte.svg
modifier - modifier le code - modifier WikidataDocumentation
du modèle
Le musée Ernest Hemingway de Cuba ou Finca la Vigía (« la
ferme vigie »), est une maison de style colonial du xixe siècle, située dans un
parc de neuf hectares, où a vécu et écrit Ernest Hemingway (1899-1961), près de
La Havane à Cuba dans les Caraïbes, entre 1939 et 1960. L'auteur, surnommé «
Papá » par les cubains, devenu depuis une légende à Cuba, y a écrit
quelques-unes de ses œuvres, dont Pour qui sonne le glas, Le Vieil Homme et la
Mer, Paris est une fête…
Sommaire
1 Historique
2 Musée Ernest
Hemingway
3 Voir aussi
4 Liens
externes
Historique
En 1886, cette maison coloniale est construite par l'architecte catalan Miguel Pascual y Baguer, au sommet d'une colline de la petite ville de San Francisco de Paula, sur une propriété de neuf hectares plantés d'arbres tropicaux, avec une ferme, une tour avec vue sur La Havane et sur la mer des Caraïbes, à environ onze kilomètres de La Havane.
Three Stories and Ten
Poems est le premier ouvrage d’Hemingway, publié à Paris en 1923 par les
Éditions Contact. Les dix poèmes qui le composent méritaient une relecture
en ce qu’ils comportent en germe les premiers romans de l’auteur, Le soleil se
lève aussi et L’adieu aux armes. La guerre, Paris, l’Amérique traversent ces
poèmes concis, précis, ironiques et audacieux. Dans les poèmes suivants, nous
redécouvrons un jeune auteur de 17 ans et celui qui, à la suite de sa première
publication, travaille à trouver la plus grande efficacité dans l’art narratif.
Dans cet ensemble, on perçoit l’influence conjointe d’Ezra Pound et de Gertrude
Stein, mais surtout une voix singulière s’affirme. Retraduire ces poèmes
s’imposait, en rétablir les choix strophiques et prosodiques, afin de
reconsidérer l’utilisation du vers par l’écrivain américain.
Ces poèmes ne sont pas inédits. On les retrouve dans 88 poèmes publiés par Gallimard, éditions qui reprend les Collected Poems américains. Ainsi les Ten Poems n’y sont pas regroupés, le choix éditorial étant la stricte observance de la chronologie. Ils le sont dans le volume I de la Pléiade, mais à une place qui n’est pas sans être discutable, ainsi que le sont les traductions.
Three Stories and Ten
Poems est le premier ouvrage d’Hemingway, publié à Paris en 1923 par les
Éditions Contact. Les dix poèmes qui le composent méritaient une relecture
en ce qu’ils comportent en germe les premiers romans de l’auteur, Le soleil se
lève aussi et L’adieu aux armes. La guerre, Paris, l’Amérique traversent ces
poèmes concis, précis, ironiques et audacieux. Dans les poèmes suivants, nous
redécouvrons un jeune auteur de 17 ans et celui qui, à la suite de sa première
publication, travaille à trouver la plus grande efficacité dans l’art narratif.
Dans cet ensemble, on perçoit l’influence conjointe d’Ezra Pound et de Gertrude
Stein, mais surtout une voix singulière s’affirme. Retraduire ces poèmes
s’imposait, en rétablir les choix strophiques et prosodiques, afin de
reconsidérer l’utilisation du vers par l’écrivain américain.
Ces poèmes ne sont pas inédits. On les retrouve dans 88 poèmes publiés par Gallimard, éditions qui reprend les Collected Poems américains. Ainsi les Ten Poems n’y sont pas regroupés, le choix éditorial étant la stricte observance de la chronologie. Ils le sont dans le volume I de la Pléiade, mais à une place qui n’est pas sans être discutable, ainsi que le sont les traductions.
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Récit : Deux crash aériens
et une bataille avec un requin... Toutes les fois où Ernest Hemingway a échappé
à la mort
L'écrivain a côtoyé la mort à plusieurs reprises et ce, dès son plus
jeune âge, rendant sa vie digne d'un roman d'aventures.
Publié le JEUDI, 12 NOVEMBRE 2020
par Margaux Vanwetswinkel
© Hulton Archive/Getty Images
Ernest Hemingway
Ernest Hemingway est le genre d'individu que l’on aurait aimé avoir
dans son équipe à Koh-Lanta. Pas seulement pour sa capacité à raconter des
histoires le soir au coin du feu de camp, mais également pour son habilité hors
du commun à sortir indemne de situations rocambolesques, voir carrément
mortifères. Accidents aériens, explosion d'obus, bataille avec un requin... Au
cours de son existence, l'écrivain n'a cessé de jouer à cache-cache avec la
mort. Mais quand celle-ci le trouve le 2 juillet 1961, ce n'est pas dans
d'abracadabrantes conditions : Hemingway est en pyjama chez lui à Ketchum dans
l'Idaho. Il s'est suicidé en se logeant une balle dans la bouche, à l'âge 61
ans.
Il faut dire que la mort l'attendait au tournant depuis un moment.
Depuis ses 18 ans très précisément. En effet, le 8 juillet 1918, Hemingway est
sur le front italien-autrichien en tant qu'ambulancier pour la Croix Rouge (il
aurait voulu se battre, mais il est jugé non-éligible pour les combats à cause
d’un œil défaillant), lorsqu'il est touché par un tir de mortier. Propulsé au
sol, il sent la vie quitter son corps, « comme si on avait tiré par l'un des
coins un mouchoir de soie de sa poche », racontera-t-il au Time. Le jeune
écrivain s’en sort de justesse avec 237 éclats d’obus dans la jambe et une
obsession pour la mort, qui transparaît dans tous ses ouvrages selon les
critiques. Il s'inspirera d'ailleurs de cette époque de son existence pour son
troisième roman, L'Adieu aux armes (1929). Mais cette expérience ne le
dissuadera pas pour autant de tenter le diable tout au long de sa vie.
Le vieil homme et les dents de la mer
C’est que l’homme a un goût très prononcé pour la guerre, la chasse, les armes à feu, la boxe et à peu près toutes les activités permettant de rouler des mécaniques et montrer sa virilité. Ainsi, c’est tout naturellement qu'il rédige pour Esquire une sorte de journal de bord doublé d'un manuel pour tuer les gros bestiaux à la chasse. Pour ce faire (et aussi parce qu'il adore ça), Hemingway se rend à Key West pour pêcher et se retrouve rapidement en prise avec un requin, une belle bête qu’il espère hisser sur le ponton du bateau. D’une main il dégaine son Colt .22 pour achever l'animal, de l'autre il tente de l’immobiliser à l’aide d’une espèce d'harpon. Mais l’engin se brise et Hemingway découvre avec surprise — mais sans douleur, il tient à le préciser —, qu’il s’est tiré dans le mollet, que la balle a ricoché et qu’il s’est blessé à deux endroits. Heureusement, il s’agit là de lésions mineures en comparaison avec ce qu’il a vécu pendant la
Première Guerre mondiale, mais tout de même… Cette fois-ci, il
n’écrira pas un livre pour raconter son expérience mais un récit truculent,
publié dans Esquire en 1935.
Crocodiles et ronflements
Malgré ses différents comportements pour le moins risqués (aller sur
le front pendant la Guerre d’Espagne, participer à la Libération de Paris, ou
plus précisément à celle du Ritz...), c’est pourtant lors d'inoffensives
vacances avec son épouse que l’auteur manque de mourir à deux reprises en 1954.
La scène se déroule en Ouganda, où Hemingway, — amateur de gros
bestiaux on l’a compris —, emmène sa femme Mary Welsh pour un safari. « Un
cadeau de Noël », dira-t-il au New York Times. Les tourtereaux montent avec un
pilote à bord d’un Cessna, afin d'aller sur les traces d’un troupeau
d’éléphants. Mais l’avion s’écrase en essayant d’éviter une nuée d’oiseaux et
les trois compères doivent passer la nuit en pleine jungle. Ce qui n’effraie en
rien l’écrivain, « nous avions des provisions d’urgence, mais peu d’eau. Nous
avons fait des tours de garde pour aller à la rivière, mais les éléphants
n’étaient pas très contents. Il y avait des hippopotames et des crocodiles qui
se baladaient le long de la rivière », raconte-t-il, toujours dans le New York
Times, « On a retenu notre respiration pendant deux heures en apercevant à
quelques pas de nous la silhouette d’un éléphant, éclairée par la lune, qui
écoutait les ronflements de ma femme. » Après avoir été secouru de cet
environnement hostile pour les ronfleurs, la troupe embarque dans un deuxième
avion... qui prend feu. Pendant deux jours, le monde entier pleure la mort
d’Hemingway, tragiquement disparu dans un accident en Afrique.
Il sortira pourtant de la jungle portant vaillamment quelques bananes
et une bouteille de gin : « Ma chance se porte très bien » s’écrit-il alors. Sa
femme s’en sort avec deux côtes cassées et sans doute avec l’impression que son
cadeau de Noël était empoisonné. Mais passée l'adrénaline, les conséquences de
ces crash aériens successifs sont graves : Hemingway a un traumatisme rénal et
crânien, des brûlures partout, des vertèbres déplacées et ne peut donc pas se
rendre en Suède pour recevoir le Prix Nobel de littérature qu’on veut lui
décerner cette année-là. Qu'importe ! Faisant fi des frivolités, il rentre chez
lui à Cuba, où il entame une convalescence, tout en continuant d'écrire. Si ses
mésaventures ne l’ont pas encore tué, sa consommation d’alcool pourrait bien
s’en charger. Ou son amour pour la chasse aux canards ; lors d'une partie, un
morceau de projectile s’insère dans son œil et provoque une infection à
laquelle les médecins pensent qu'il va succomber. Il n'en est rien.
Personne ne peut tuer Ernest Hemingway, à part lui-même. Ainsi, ce matin de juillet 1961, l'écrivain décide de jouer un dernier tour au destin : lui faire un pied de nez en s'ôtant la vie, sans l'aide de requins, d'avions, d'obus ou d'une vulgaire chasse aux canards.
Le soleil se lève aussi, le
roman de tous les romans d’Hemingway
Tout Hemingway y est : la nature, le soleil du Sud, la guerre, la
violence et la mort, l’amour, Vienne et l’Italie, l’Espagne et les corridas,
Paris qu’il aimait tant…
Culture
Dominique Lebel
19 Décembre 2020
Il aurait voulu être un combattant lors de la Première Guerre
mondiale, mais il consacra plutôt sa vie au combat de la littérature. Déjà à un
très jeune âge, il voulait être là où les choses se passent et s’éloigner de
son Oak Park natal, cette banlieue puritaine de Chicago. Recalé par l’armée
pour cause de myopie, le jeune reporter du Kansas City Star trouvera néanmoins
le moyen de partir au front. Devenu aide-ambulancier pour la Croix-Rouge en
1918, il est dépêché en Italie à moins de 20 ans. Surpris par un obus ennemi un
matin de juillet, il survivra à de terribles blessures aux jambes qui le feront
souffrir toute sa vie. De retour aux États-Unis au début de 1919, après de
longs mois d’hospitalisation, il aura tôt fait de repartir pour l’Europe en
s’installant à Paris en 1921 avec Hadley, sa première épouse. Arrivé à Paris
avec en poche une carte de correspondant du Toronto Star, il se construit une
stature d’écrivain dès 1926 avec la parution du roman Le soleil se lève aussi.
C’est encore un jeune homme, mais l’écrivain incontournable qu’on reconnaîtra
en lui apparaît déjà.
Tout Hemingway est présent dans ce roman. La nature, le soleil du Sud,
la guerre, la violence et la mort, l’amour, Vienne et l’Italie, l’Espagne et
les corridas, bien sûr. Mais aussi Paris qu’il aimait tant, et où il reviendra
toute sa vie. En 1956, il sera de passage à la Closerie des Lilas — dont il
parlait dans Le soleil se lève aussi, 30 ans plus tôt — et laissera une note
dans le livre d’or, que l’on peut encore voir aujourd’hui. Toute sa vie, il
sera revenu sur ses pas, refaisant les mêmes parcours, jouant avec les mêmes
mots, ressassant ses souvenirs jusqu’à les réinventer. Comme un chasseur à
l’affût reprenant toujours les mêmes sentiers, dans une sorte de défi lancé au
destin. Hemingway aura creusé un sillon si profond que, près de 60 ans après sa
mort, on en voit encore les marques à Paris, mais aussi à Venise, à Key West,
en Espagne, à Cuba. Or, c’est partout le même homme. Les mêmes habitudes, les
mêmes passions, la même obstination, la même nécessité d’écrire. Et toujours
cette impression de ne pas vivre assez, de ne pas vivre complètement sa vie. Et
cette idée que la proximité de la mort rapproche de la vie, ou fait vivre plus,
comme dans ce dialogue entre Robert Cohn et Jake Barnes dans Le soleil se lève
aussi :
— Je ne peux pas m’habituer à cette idée que ma vie s’écoule si vite
et qu’en réalité je ne la vis pas.
— Personne ne vit complètement sa vie, sauf les toréadors.
Le soleil se lève aussi est le premier grand roman d’Hemingway, même
si c’est L’adieu aux armes, publié en 1929, qui sera son premier véritable
succès. Dans son Journal, le critique Matthieu Galey propose une lecture de
l’œuvre d’Hemingway en parlant « de la progression, l’affermissement, puis le
déclin de son style ». C’est un peu sévère à l’égard d’un écrivain qui,
quelques mois seulement avant sa mort, en 1961, travaillait encore sur des
manuscrits qui feraient date, comme Paris est une fête et L’été dangereux. Mais
il est vrai que ses premiers romans ont une force, une justesse et une tension
exceptionnelles. Un peu comme Du côté de chez Swann, de Marcel Proust, révélait
déjà en 1913 l’immense Recherche du temps perdu, Le soleil se lève aussi
annonce en quelque sorte tout le projet littéraire d’Hemingway. Après Le soleil
se lève aussi, il a une pensée construite, ce qui est la marque des grands
écrivains. Ses thèmes sont calés, le rythme est donné, le décor est planté, la
forme et le fond se sont rencontrés.
Les années 1920 à Paris : de jeune homme à écrivain
Hemingway fera de Paris son port d’attache en Europe. C’est une bonne
partie de sa vingtaine qu’il y passera, avant de s’installer à Key West à
partir de 1928. Ce que l’on vit dans la vingtaine est acquis pour toujours.
Ainsi, c’est à ce moment que son style de vie et son style littéraire se
formeront et commenceront à se confondre. Si plus tard il aimera poser en
victime de son image, c’est qu’il aura voulu oublier que c’est lui-même qui l’a
patiemment construite et qu’il en a aussi beaucoup bénéficié. C’est ce
croisement entre un personnage plus grand que nature — viril, opiniâtre,
chasseur de gros gibier — et un écrivain au style direct mais sensible qui fera
sa marque. Comme le note Philippe Sollers dans Éloge de l’infini, Hemingway
est, malgré les apparences, un écrivain rempli de finesse. « La violence
guette, la lutte, le sang, mais ce n’est pas une raison pour détourner son
attention du temps qu’il fait, d’un feuillage qui bouge, d’un reflet. La guerre
humaine se joue dans l’impassible nature qui l’absorbe, la relativise, la nie
», écrit Sollers.
Dans les premières pages du Soleil se lève aussi, alors que Robert
Cohn, tout juste arrivé à Paris, souhaite déjà repartir en voyage, le narrateur
y va de cette mise en garde : « Écoute, Robert, changer de pays, ça ne sert à
rien. J’ai essayé tout ça. Ce n’est pas parce que tu iras d’un endroit dans un
autre que tu échapperas à toi-même. » Hemingway écrit cela à la mi-vingtaine,
comme une prophétie sur sa vie et son œuvre. Dans les faits, il s’installe à Paris,
mais cela ne l’empêchera pas de voyager à travers l’Europe pour ses reportages
au Toronto Star, de retourner en Italie, de découvrir l’Espagne et les
corridas, de faire l’aller-retour à New York pour signer son premier contrat
d’édition avec la prestigieuse maison Scribner, la même que Francis Scott
Fitzgerald, qui y publia Gatsby le Magnifique en 1925, un an avant Hemingway.
Le soleil se lève aussi présente des scènes de tranchées de 1918 en
Italie qui seront plus tard au cœur de L’adieu aux armes. On y parcourt la
Ville lumière que l’on retrouvera des décennies après dans Paris est une fête.
Toute la deuxième partie du livre, où l’on visite l’Espagne et découvre les
corridas, annonce Mort dans l’après-midi, publié en 1932, et tant d’autres
textes encore. Le coup de foudre d’Hemingway pour l’Espagne le mènera sur le
terrain 10 ans plus tard, lors de la guerre civile, et donnera le très beau
Pour qui sonne le glas, publié en 1940. L’Italie, l’Espagne, Paris, c’est le
terreau de toute son œuvre et de tous les thèmes à venir. Mais, plus encore,
c’est la nature humaine qui est au cœur de son œuvre. Des hommes braves et
simples luttant sans succès contre les éléments, inatteignables. « Peut-être,
avec le temps, finit-on par apprendre quelque chose. Peu m’importait ce que
c’était. Tout ce que je voulais, c’était savoir comment vivre. Peut-être, en
apprenant comment vivre, pourrait-on finir par comprendre ce qu’il y a en
réalité au fond de tout ça », écrit Hemingway dans Le soleil se lève aussi.
Hemingway en dit le moins possible. C’était un autre de ses préceptes
d’écriture : soyez bref ! Il fait parler les personnages. Et, par les
dialogues, on découvre leur nature — et leur solitude. Son écriture est en
grande partie contemplative, par opposition à cette image d’homme instable qui
bouscule tout sur son passage. « Si les paysages vous ennuient, c’est que la
vie vous ennuie », disait le peintre David Hockney.
Comme s’il voulait par avance confondre les critiques, Hemingway admet
que la passion des corridas peut choquer, et qu’il serait plus simple de garder
ça pour soi. « Un secret à ne pas divulguer à des gens qui ne comprenaient pas
», écrit-il dans Le soleil se lève aussi. Simone de Beauvoir aimait également la
tauromachie. « Je trouve sans fondement les attaques dirigées au nom de la
morale contre la boxe ou la tauromachie », écrit-elle dans La force des choses.
« J’apprécie ces épreuves où l’homme engage son corps. » C’est qu’au-delà des
affres de la guerre, très présentes dans le travail d’Hemingway, c’est beaucoup
la question de la vérité du récit, de la chair, du corps, de la vie et de la
mort, qui l’obsède. Hemingway ne craint pas de vivre dans la familiarité de la
mort. Un peu comme si l’aboutissement de toute vie trouvait son sens dans la
façon que nous aurons d’affronter la mort le moment venu. D’une certaine façon,
Hemingway trouve dans la tauromachie une mise en scène métaphorique de la
rencontre de l’homme et de la nature. Dans L’invention de la solitude, Paul
Auster écrivait justement : « Car on ne peut pas écrire un seul mot sans
l’avoir d’abord vu, et avant de trouver le chemin de la page, un mot doit
d’abord avoir fait partie du corps, présence physique avec laquelle on vit. »
L’histoire d’Hemingway est celle d’un conquérant, toujours en route,
inépuisable, instinctif. Celle d’une personnalité forte et complexe et d’un
écrivain plus émotif qu’il n’y paraît. Celle d’un homme énergique pour qui ce
sera de plus en plus difficile de trouver la paix nécessaire à l’écriture. Dans
son discours de réception du prix Nobel de littérature, en 1954, après la
parution du roman Le vieil homme et la mer, il soutient : « Écrire, c’est au
mieux une vie solitaire. Un écrivain accomplit son œuvre dans la solitude et, s’il
est suffisamment bon écrivain, il doit chaque jour faire face à l’éternité ou à
l’absence d’éternité. »
Ernest Hemingway n’est plus à la mode. Grand bien lui fasse, rien de
pire ne peut arriver à un écrivain que d’être à la mode. Ce qu’il voulait
vraiment, c’était durer.
Hemingway, la nature et la
mort
Il y a toujours une lutte chez Ernest Hemingway. Une lutte avec la
nature, avec les mots. Une lutte contre soi-même, aussi.
Dominique Lebel
7 Décembre 2020
Photo : Ernest Hemingway Photograph Collection, John F. Kennedy
Presidential Library and Museum, 1927
En automobile, Ernest Hemingway aime s’asseoir devant, côté passager.
Il regarde partout, s’intéresse à tout, commente tout. Il a l’œil américain,
comme disait Flaubert, ce regard perçant sur le territoire. En décembre 1951,
en route vers Venise, il mettra cinq jours à faire le trajet entre Paris et
Aix-en-Provence, qui devrait prendre une journée. Il veut constamment
s’arrêter, revoir des lieux déjà visités. C’est que l’écrivain, que l’on sait
fasciné par le courage des hommes, l’est tout autant par les paysages et la
nature. Chaque fois, il y voit l’occasion de raconter des événements fondateurs
de sa vie, comme son enrôlement dans la Croix-Rouge en Italie lors de la
Première Guerre mondiale ou l’un de ses nombreux périples en Espagne durant la
guerre civile. Hemingway décrit longuement ses déplacements à travers l’Espagne
dans Mort dans l’après-midi. Ses grandes œuvres, comme Le soleil se lève aussi,
L’adieu aux armes ou Pour qui sonne le glas, font la part belle aux
descriptions de paysages de la France, de l’Italie et de l’Espagne. Le natif du
Midwest américain ne cessera toute sa vie d’être envoûté à la fois par la
grandeur et par le côté tragique de la nature.
La vie d’Hemingway le situait à la charnière du XIXe et du XXe siècle.
S’il est né en 1899, ce n’est qu’en 1919, à la signature de l’armistice mettant
fin à la Première Guerre, que le XXe siècle commence vraiment pour lui. Par ses
passions — la chasse, la pêche, la vie militaire —, il demeure attaché au monde
d’avant. Or, les traumatismes causés par la guerre le marqueront durablement,
lui qui fut blessé aux jambes par un obus autrichien qui frappa la tranchée
dans laquelle il se trouvait sur le front italien. Il ne s’en remettra jamais
vraiment physiquement, mais sa confiance en lui et son courage s’en trouveront
décuplés. C’est qu’il a su transformer l’épreuve en une sorte de sentiment
d’invincibilité. Si l’on peut mourir, on peut aussi survivre.
Le destin, l’amour, la guerre : il y a toujours une lutte chez
Hemingway. Une lutte avec la nature, avec les mots, une lutte pour gagner du
temps afin d’écrire. Une lutte contre soi-même, aussi. Philippe Sollers disait
que tous les écrivains décrivent un combat. Il cite Kafka : « Dieu ne veut pas
que j’écrive, mais moi, je dois. » Hemingway doit écrire. C’est physique. C’est
un écrivain parce qu’il écrit ; il écrit parce qu’il est écrivain. La
possibilité de la mort est présente partout dans ses récits. Ça nous étonne et
ça rappelle à quel point nous sommes devenus des êtres aseptisés. Ce que nous
dit Hemingway, c’est que la vie, ce n’est pas de nier les difficultés ou de
chercher à les gommer, à effacer l’histoire, si douloureuse soit-elle. Le vrai
courage, c’est de faire face, et souvent d’abord à soi-même. Les personnages
d’Hemingway cherchent des réponses dans l’action et non dans le discours. Ils
allient force physique et force morale. Ils font face avec leurs mots, mais
aussi, et peut-être surtout, avec leur corps. Ainsi, lorsque ce ne sera plus
possible pour lui d’écrire, lorsque son énergie l’abandonnera et que les idées
noires prendront toute la place, c’est vers la mort que l’écrivain se tournera.
Comme son grand-père maternel — dont il empruntera le prénom —, qui tenta de se
suicider alors que le jeune Ernest n’avait que 6 ans. Comme son père, qui passa
à l’acte à 57 ans, en 1928, avec un fusil de la guerre civile américaine ayant
appartenu à son propre père, Hemingway se tue avec un fusil de chasse en
juillet 1961. Il s’achève comme une bête blessée. Il a 61 ans.
L’écriture est une lutte physique
Le biographe Gérard de Cortanze brosse ce portrait : « J’ai la
profonde conviction qu’Ernest Hemingway reste un auteur mal connu. On ne voulut
voir en lui qu’un géant chasseur de fauves, un correspondant de guerre rebelle,
un dur à cuire pêcheur de monstres marins, un amateur de corridas, un boxeur
primitif, un viscéral insatiable, un monument de virilité, violent et
alcoolique. Cette panoplie réductrice ne le protégeait guère : sa légende
faillit le dévorer. » En vérité, il marcha toute sa vie comme au bord d’un
précipice. Comme si, chaque matin, il devait batailler avec les mots pour la
dernière fois. On croit toujours que ceux qui réussissent ne sont que des gens
à qui « tout réussit », mais c’était un homme plus fragile qu’il n’y paraît. Il
avait cette angoisse de ne pas devenir le grand homme qu’il se sentait au fond
de lui-même. Et c’est dans le travail qu’il chercha son salut. Il disait : « Si
l’on écrit, il faut être le meilleur écrivain du monde. »
Hemingway avait un côté fétichiste. Ses trophées de chasse et de pêche
étaient exposés dans sa maison de Key West, et surtout à Cuba. Il conservait
ses brouillons, ce qui est rare chez les écrivains, qui ont tendance à vouloir
effacer toutes traces de leur labeur. Il écrivait au crayon. Parfois à la machine
à écrire, mais souvent d’abord au crayon. Il se corrigeait le lendemain. Puis,
il retapait ses textes à la machine ou les faisait retaper. Il les
retravaillait à la réception des épreuves préparées par l’éditeur. À partir de
1940, on le vit souvent sur les photos debout face à une machine à écrire.
C’est cette image qu’il voulait qu’on garde de lui : l’homme debout, derrière
sa Smith-Corona no 3, ce modèle qui se pliait en deux et qui était si léger
qu’on pouvait le transporter dans une valise. Il estimait qu’écrire debout
donnait plus de vitalité dans l’écriture. Chez Hemingway, l’écriture est
physique, un combat, une lutte solitaire. Proust écrivait couché dans son lit,
Hemingway écrirait debout !
Dans sa biographie de Jean-Paul Sartre, Annie Cohen-Solal raconte une
visite de l’intellectuel français dans les années 1950 à la Finca Vigia, la
maison de style colonial d’Hemingway près de La Havane, d’où l’on pouvait
apercevoir la mer à l’horizon. Elle cite la dernière femme d’Hemingway, Mary
Welsh : « Ils parlèrent comme des hommes d’affaires. Les deux écrivains
discutèrent droits d’auteur, pourcentages, ventes à l’étranger et traductions,
problèmes de milieu, pour tout dire. » C’est tout Hemingway ! C’est qu’il avait
en horreur les conversations conceptuelles, lui qui aimait provoquer en
opposant le travail d’écrivain à celui d’intellectuel. Il se voyait comme un
artisan, même s’il avait tout lu — avec sa bibliothèque de plus de 5 000 livres
— et était beaucoup plus avisé qu’il aimait le laisser paraître.
La tauromachie, un combat entre l’homme et la nature
La nature chez Hemingway, c’est ce qui nous relie les uns aux autres
et à nous-mêmes. Dès les années 1920, lors de son premier séjour prolongé à
Paris, il découvre la tauromachie, telle qu’elle se pratique alors en Espagne.
C’est Gertrude Stein, qui tenait un salon très couru de Paris dans
l’entre-deux-guerres, qui l’initie. Auprès d’elle, il cultive son image
d’écrivain sûr de lui et il fraternise notamment avec F. Scott Fitzgerald. Mais
les corridas le marquent plus que tout. Elles viennent structurer sa vision du
combat entre l’homme et la nature. Une vision qu’il intègre également dans ses
récits de chasse et de pêche.
Dans les années qui suivront, il ira des dizaines de fois en Espagne
et aura tôt fait d’être considéré comme un connaisseur, un aficionado, par les
toréros eux-mêmes. À tel point que Mort dans l’après-midi, publié en 1932,
s’apparente parfois davantage à un précis de tauromachie qu’à un récit
autobiographique. Il faut dire que les corridas ont tout pour le séduire : le
face-à-face de l’homme et de l’animal, l’art et la violence tout à la fois, la
part épique de la vie, la mort toujours possible. Dans les corridas, il y a une
arrogance devant la mort. L’arrogance de ceux qui font face. « Hemingway
faisait de la littérature comme de la tauromachie », disait Michel Leiris.
La nature le rattache aussi à sa jeunesse, lorsqu’il allait à la chasse et à la pêche dans le comté de Charlevoix au Michigan avec son père, à ses traditions et à sa vérité. La nature et l’écriture ne font qu’un pour lui. Elles sont toute sa vie. Hemingway n’a jamais voulu « perdre de vue la face du taureau », pour reprendre une expression tauromachique qui était chère à Primo Levi et qui signifie qu’on ne doit pas tourner le dos à son passé. On le sait, Hemingway préféra mourir dans les grands espaces de l’Idaho, qui lui rappelaient la nature de sa jeunesse, plutôt que de devenir un étranger pour lui-même. Lui qui sentait la mort par-dessus son épaule à chaque instant aura laissé une œuvre inestimable, et aura ainsi survécu à tout, même à son départ.
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