joi, 11 noiembrie 2021

Baudelaire (1821-1867)

 

Charles Baudelaire, né le 9 avril 1821 à Paris et mort dans la même ville le 31 août 1867 , est un poète français.

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1821-1867



Baudelaire, le spleen de la modernité : le révolté des mers du Sud

Par Irina de Chikoff

méro exceptionnel au poète maudit. Charles embarque pour Calcutta. Son père espère qu'en l'éloignant de Paris ce voyage le détournera de ses frasques et de ses dépenses pharamineuses.

Après avoir passé son bac, Charles a longtemps atermoyé avant de s'inscrire à la faculté de droit. Il ne la fréquente guère. Pas plus que le cabinet d'un avoué où le général Aupick lui a trouvé un stage. Leurs rapports sont de plus en plus tendus. Charles n'accepte pas qu'on lui dicte sa conduite. Pour ne pas faire de peine à sa mère, il feint souvent de céder, mais n'obéit qu'à ses propres penchants. Ils le portent à musarder et, entre deux flâneries, à écrire des poèmes.

Auguste Dozon, un ancien condisciple de Louis-le-Grand, l'a introduit à la pension Bailly, sur les hauteurs de la montagne Sainte-Geneviève, où des jeunes gens rêvent, comme lui, de devenir poètes, romanciers ou dramaturges. Avec eux, il fréquente assidûment cafés et gargotes du Quartier latin, se retrouve souvent chez Louis Ménard, dont le père, complaisant à ses caprices, lui a cédé un grenier au dernier étage de son immeuble. Son fils y initie ses camarades à la « pommade verdâtre » à base de haschich dont le premier effet sur Baudelaire a été de lui donner la colique. Ses expériences amoureuses avec une prostituée, Sarah la Louchette, lui ont valu quant à elles d'attraper une blennorragie, première des maladies vénériennes dont il aura à souffrir tout au long de son existence.

Très vite Charles accumule des dettes. Pour s'habiller, faire le dandy. Bientôt les impayés s'élèvent à plus de 3 000 francs et il se voit contraint de demander l'aide de son frère Alphonse. Ce dernier est scandalisé par tant de légèreté, d'inconscience. Le découvert sera réglé à l'issue d'un conseil de famille. Mais le général Aupick ne se contentera pas des mines contrites de Charles. Il décide d'éloigner son fils adoptif des pavés de Paris. Il devra s'embarquer pour une longue croisière jusqu'à Calcutta à bord d'un trois-mâts commandé par le capitaine Pierre Saliz. Charles se soumet à la punition, mais avant de rejoindre Bordeaux, il aura une altercation violente et sera exilé à Creil.

Le 9 juin 1841 le Paquebot-des-Mers-du-Sud lève l'ancre. Charles a arrimé un haut-de-forme sur sa tête. Il boude les autres passagers quand il ne les assomme pas d'impertinences. Il s'ennuie, bougonne, maugrée, sans se rendre compte que la mer, sa houle, le ciel changeant, les marins aux mains calleuses et les albatros de passage qu'ils s'amusent à abattre s'insinuent dans sa mémoire.
Après le cap de Bonne-Espérance, au milieu de l'océan Indien, le trois-mâts est pris dans une violente tempête. Le capitaine Saliz, qui s'est attaché à Charles malgré ses bizarreries, constate que le jeune homme a du cran. Tandis que la plupart des passagers se sont calfeutrés dans les cabines, il aide de son mieux les matelots à redresser le navire. Endommagé, le Paquebot-des-Mers-du-Sud ne peut pas continuer sa route. Il va mouiller au large de Port-Louis. Charles prévient le capitaine qu'il est déterminé à interrompre cette croisière le plus vite possible.

En attendant, il débarque à terre et s'installe dans un hôtel. Bientôt il fait la connaissance d'un propriétaire terrien, Adolphe Autard de Bragard, qui l'invite dans sa demeure de Port-Louis ainsi que dans ses résidences de Pamplemousses et Cressonville. Baudelaire y passe de longues soirées avec son hôte et sa jeune épouse, Emmelina, qui se pique de poésie. Galant, il promet de lui écrire un sonnet. Le couple lui présente des amis qui s'intéressent à la littérature. Leurs prédilections hérissent souvent Baudelaire mais, sensible aux attentions des Bragard, le provocateur évite de railler.
Décontenancé de prime abord par la végétation luxuriante de l'île, Baudelaire s'imprègne de ses parfums inconnus qui plus tard donneront à ses poèmes leur singularité. Il ne reste pas non plus insensible au charme exotique des femmes, admirant la liberté de leurs mouvements, le naturel avec lequel elles l'accueillent dans leur case. Parfois, il s'y attarde.

Le 18 septembre, le Paquebot-des-Mers-du-Sud peut quitter l'île Maurice pour rejoindre celle de Bourbon. À Saint-Denis, il ne mettra pas pied à terre avant que le capitaine Saliz ne lui ait trouvé un bateau qui s'apprête à faire route vers la France. Avant d'embarquer sur l'Alcide, il adresse une lettre à Autard de Bragard et y joint un sonnet pour sa femme : À une dame créole.
Le 15 février 1842, Charles débarque à Bordeaux d'où il écrit au général Aupick qu'il croit être revenu « avec la sagesse en poche ».

Couverture du Figaro Hors-Série Baudelaire Étienne Carjat, 1861, Paris BNF

Sur Figaro Store, le Figaro Hors-Série Baudelaire, le spleen de la modernité, 12,90€





Michel De Jaeghere: «Baudelaire, l’alchimiste de la douleur»


Couverture du Figaro Hors-Série : Création Françoise Grandclaude à partir du portrait de Charles Baudelaire, par Etienne Carjat, décembre 1861 (Paris, BnF)

FIGAROVOX/ANALYSE - Deux cents ans après sa naissance, celui qui fut moqué de son vivant comme le «Prince des Charognes», est désormais célébré comme l’un des plus grands poètes du XIXe siècle. A l’occasion de ce bicentenaire, Le Figaro Hors-Série et son directeur, Michel De Jaeghere, pénètrent la vie et l’œuvre de ce dandy torturé, qui a sondé les profondeurs de l’âme humaine pour en extraire toutes les passions.

Michel De Jaeghere est directeur du Figaro Hors-Série et du Figaro Histoire.

Cet éditorial est extrait du nouveau Figaro Hors-Série: «Baudelaire. Le spleen de la modernité», 162 pages, 12,90 €, disponible en kiosque et sur le Figaro Store.


Ce qui lui avait fait le plus horreur, sans doute, c’est la beauté sans âme d’un certain XVIIIe siècle: les «gens spirituels, polis et cancaniers», la littérature comme théâtre d’un divertissement sans objet, la langue renonçant aux couleurs, aux sonorités, à la profondeur, aux images, pour se faire tout entière persiflage, dans une vaine démonstration de virtuosité. Un ornement de plus dans un décor de palissandre, de rocailles et d’angelots dorés.

Il n’avait pas cru devoir lui opposer en romantique le désordre des sens, le délire d’un esprit délivré des contraintes. En Baudelaire, c’est ce qui rend son œuvre unique, se réalisa au contraire la rencontre de l’imagination la plus libre, la plus débridée (fût- ce avec le secours, parfois, de substances illicites - l’opium, le haschich -, par quoi il entendait percer le brouillard de la réalité, explorer le dédale hallucinatoire de ses arrière-pensées), avec une écriture retenue, serrée avec la discipline d’un solitaire de Port-Royal, d’un dévot de la Compagnie du Saint-Sacrement. Aveux de son ennui, de ses chagrins, du malheur d’exister, pensées suicidaires («l’Espoir, vaincu, (…) l’Angoisse atroce, despotique»), passions vénéneuses, confessions déchirantes ou long vacillement de l’ivresse et de la volupté, images inattendues, figures de cauchemar, caricatures grotesques, «corps tordus, maigres, ventrus ou flasques», pâles beautés aux «sourcils surbaissés, / D’où semblent couler des ténèbres», «anges habillés d’or, de pourpre et d’hyacinthe» surgissent d’un songe éveillé pour donner chair et vie à un vers à la métrique parfaite, au rythme cadencé comme pour un exercice de haute école: «Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille. / Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici».

Ce clochard était un dandy. Il conjuguait la vie de bohème à des mœurs seigneuriales, le manque du nécessaire au goût du superflu, les semelles trouées au col dur qui vous fait tenir le front haut, l’irresponsabilité d’un éternel adolescent dans la gestion de son patrimoine et de sa carrière à la plus exigeante des idées de l’œuvre à faire, et de l’ampleur des sacrifices à consentir pour elle. «Résigne-toi, mon cœur ; dors ton sommeil de brute. / Esprit vaincu, fourbu! Pour toi, vieux maraudeur, / L’amour n’a plus de goût, non plus que la dispute ; / Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la flûte! / Plaisirs, ne tentez plus un cœur sombre et boudeur!»

« Vous dotez le ciel de l’art d’on ne sait quel rayon macabre. Vous créez un frisson nouveau ».

Victor Hugo à Charles Baudelaire - lettre du 6 octobre 1859

Le refus des creuses conventions qui avaient réduit l’art à un simulacre faisait chez lui sa place au respect des lois non écrites de la musicalité, la recherche de l’incongru à celle de l’éternité dont il estimait qu’il était, mystérieusement, le reflet. Victor Hugo avait fait rugir avant lui ses tempêtes sur l’infini de la mer, et surgir héros et patriarches, fantômes de l’histoire levés d’entre les morts comme autant de statues détachées de leurs niches de pierre. Gautier avait fait entendre les délices de sa musique de chambre pour nous faire entrevoir les merveilles de son cabinet de curiosités. Lui, avait voulu tenir les deux bouts de la chaîne. Déployer sous nos yeux «les plis sinueux des vieilles capitales», et nous donner à voir les «catins, [les] escrocs, leurs complices, / Et les voleurs, qui n’ont ni trêve ni merci» ; évoquer les minaudements des vieilles courtisanes, et nous faire entendre le râle des mourants de l’hospice. Convoquer les parfums des oasis lointaines et faire surgir Diane chasseresse «en galant équipage / Parcourant les forêts ou battant les halliers / Cheveux et gorge au vent, s’enivrant de tapage, / Superbe et défiant les meilleurs cavaliers!». Il avait, selon le mot de Hugo, créé un «frisson nouveau» en associant, dit Théophile Gautier, «le rare, le difficile et l’étrange», la splendeur «sinistre et formidable» des plantes vénéneuses aux «parfums âcres, pénétrants, vertigineux» sans cesser jamais de peser chaque mot «comme les avares de Quentin Metsys pèsent un ducat suspect».

Ce n’est pas un hasard, sans doute, s’il avait considéré Delacroix comme un maître. Il avait reconnu dans ses toiles sa propre aspiration au mouvement, à la couleur, à l’expression des passions violentes dans un feu d’artifice de contrastes, tenu par le gant de fer de la Beauté classique: le métier intraitable, le refus de perdre la mesure, de lâcher bride à la réalité. Il y avait en lui du Goya revisitant le portrait de cour avec la même brutalité qu’il brosserait plus tard les silhouettes hideuses de sa maison du Sourd, affectant des figures déformées, corrompues par le vice, à ses dames d’honneur, sans leur faire perdre pour autant leur port de tête altier. La forme n’est pas chez Baudelaire une contrainte apprise, un corset subi malgré soi, consenti à la nécessité. Elle est la pression même par quoi se libère le parfum de la fleur.

« J’ai pétri de la boue et j’en ai fait de l’or. »

Charles Baudelaire

On a pu dénoncer, chez lui, la complaisance dans l’horreur. Le Figaro, extralucide, avait accueilli la publication des Fleurs du mal par un éreintement en règle, dénonçant une «inspiration puérilement prétentieuse», une «poésie de charnier et d’abattoir» qui aurait vainement prétendu exprimer dans une langue «sans couleur», ignorante et glaciale les «souffrances du temps présent». C’était n’y rien comprendre. La noirceur n’est pas, chez lui, une pose: elle répond à la cruauté du regard jeté sur une époque rendue ivre d’elle-même, narcissique, par le progrès de ses machines, l’avènement d’un confort douillet ; à la volonté de balayer comme le faisceau d’un phare les angles morts d’une modernité oublieuse de la vie intérieure. La roideur va de pair avec le refus de l’attendrissement sur soi-même, l’obscénité avec une piété d’enfant, la véhémence du sentiment avec la conscience pascalienne des béances de la nature humaine: «Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance / Comme un divin remède à nos impuretés / Et comme la meilleure et la plus pure essence / Qui prépare les forts aux saintes voluptés!» Ce moderne était un antimoderne ; ce provocateur, un témoin plein de compassion ; cet érotomane, un cœur blessé, en attente de la lumière.

«J’ai pétri de la boue, dit-il, et j’en ai fait de l’or.» Nul n’avait, en réalité, répondu mieux que lui à la vocation prophétique du poète: celle qui l’investit de la charge de nous faire sentir la Beauté parfaite au cœur d’un monde où, trop occupés de nous-mêmes, de nos divertissements, de notre quête inlassable de ce qui passe, nous ne l’avions pas remarquée, «Comme un beau cadre ajoute à la peinture, / Bien qu’elle soit d’un pinceau très vanté, / Je ne sais quoi d’étrange et d’enchanté / En l’isolant de l’immense nature». C’est elle que dans l’horreur et dans la misère, la nostalgie, les grands espaces, le ciel enfumé de Paris, l’horizon empourpré de la mer, les ports de Claude Lorrain («J’ai longtemps habité sous de vastes portiques / Que les soleils marins teignaient de mille feux»), les silhouettes bancroches de Daumier, «Les courses, les chansons, les baisers, les bouquets, / Les violons vibrant derrière les collines, / Avec les brocs de vin, le soir, dans les bosquets», il ne cessa de faire sourdre comme un dieu qui, sans lui, nous serait resté caché, et qu’il avait miraculeusement fait apparaître dans sa gloire insoupçonnée.


«Baudelaire. Le spleen de la modernité», 162 pages, 12,90 €, disponible en kiosque et sur le Figaro Store.




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