Éric Vuillard, né le 4 mai 1968 à Lyon, est un écrivain, cinéaste et scénariste français, ayant remporté le prix Goncourt en 2017.Son récit intitulé L'Ordre du jour qui relate plusieurs épisodes des prémices et du début du Troisième Reich, remporte le prix Goncourt 20176. Salué par la critique, il fait cependant un an plus tard, lors de sa sortie aux États-Unis, l'objet d'un article sévère de l'historien Robert Paxton.
L’Orde du Jour – Eric Vuillard (Prix GONCOURT 2017)
L’ordre du jour – Eric Vuillard
L’Allemagne nazie a sa légende. On y voit une armée rapide, moderne, dont le triomphe parait inexorable. Mais si au fondement de ses premiers exploits se découvraient plutôt des marchandages, de vulgaires combinaisons d’intérêts ? Et si les glorieuses images de la Wehrmacht entrant triomphalement en Autriche dissimulaient un immense embouteillage de panzers ? Une simple panne ! Une démonstration magistrale et grinçante des coulisses de l’Anschluss par l’auteur de Tristesse de la terre et de 14 juillet
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Découvert par hasard durant mes
pérégrinations livraddictienne, c’est d’abord la couverture qui m’a tapée dans
l’œil. Un homme en complet veston, ça a toujours son petit effet sur ma
personne. Au vu du résumé, je m’attendais à quelque chose de très protocolaire,
très classique, voir peut-être d’ennuyeux. J’avais toujours le livre précédant
d’Eric Vuillard, 14 Juillet en attente de lecture et celui-là était peut-être
le bon moment pour le lire. Le XIXe/XXe m’attire bien plus que le XVIIIe. J’ai
donc ouvert le livre et commencé à lire…
Et ce fut le coup de cœur. Toute
l’originalité du livre tient dans la manière d’être racontée. Là où n’importe
quel auteur aurait énuméré les faits dans un enchaînement logique et
chronologique, E.Vuillard enchaîne les anecdotes. D’abord tourné vers les
personnages, afin de pouvoir les comprendre, et comprendre comment ils en sont
venu à prendre de telles décisions. Ensuite, les petits moments de la vie qui
amènent à de grand moment historique et qui feront basculer l’Europe dans la
guerre.
« De ce fait anodin, de ce
conflit curieux entre l’image et l’homme, de ce contrat, par lequel Neville
Chamberlain, appelé « Le bailleur », s’engagea, en échange d’un prix, « le
loyer », à assurer à Joachim von Ribbentrop la jouissance paisible de sa maison
d’Eaton Square, personne n’a su tirer la moindre conséquence »
Le rythme est soutenu, les
phrases sont longues (voir très longues) et le livre découpé en anecdotes
toutes plus intéressantes les unes que les autres. Le tout s’imbrique si bien
qu’on perde la notion de « roman » pour être plus proche d’un documentaire,
voir d’un docu-fiction qui pourrait être portée à l’écran.
Conclusion, un livre court pour
un maximum d’informations avec un rythme soutenu qui ne perd pas pour autant
son lecteur. Une manière de raconter l’Anschluss différemment.
RÉSUMÉ
L'Allemagne nazie a sa légende.
On y voit une armée rapide, moderne, dont le triomphe parait inexorable. Mais
si au fondement de ses premiers exploits se découvraient plutôt des
marchandages, de vulgaires combinaisons d'intérêts ? Et si les glorieuses
images de la Wehrmacht entrant triomphalement en Autriche dissimulaient un
immense embouteillage de panzers ? Une simple panne ! Une démonstration
magistrale et grinçante des coulisses de l'Anschluss par l'auteur de Tristesse
de la terre et de 14 juillet.
L'Ordre du jour figure dans la
sélection 2018 des meilleurs livres du Boston Globe, a été élu meilleur livre
2018 par la National Public Radio (USA) et a reçu en 2019 le Hay medal for
fiction (UK).
https://museaurania.wordpress.com/2017/06/18/chronique-lordre-du-jour-eric-vuillard/
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Paxton vs Vuillard
Pierre Assouline dans L'Histoire
daté mai 2019 -
L'historien américain Robert
Paxton a vertement critiqué le livre d'Éric Vuillard, lauréat du prix Goncourt
2017, relançant le vieux débat de la frontière entre histoire et fiction.
Voilà une vraie polémique
intellectuelle qui vaut d'être examinée de plus près car elle excède la
personnalité de ses protagonistes. En 2017, L'Ordre du jour d'Éric Vuillard
(Actes Sud) était couronné du prix Goncourt [jury auquel appartient Pierre
Assouline, NDLR]. Dans ce portrait d'une élite, on voyait 24 barons du grand
capital allant de renoncements en abaissements par opportunisme lors de la
réunion du 20 février 1933 au palais présidentiel du Reichstag à Berlin en
présence de Goering. Le mot « récit » figurait en sous-titre sur la couverture,
genre auquel étaient également rattachés ses précédents livres. Une manière
bien à lui, sa signature désormais, de s'emparer d'un fait ou d'un événement
historique, d'épuiser la bibliographie sur le sujet afin de s'en imprégner et
d'en tirer une vision subjective de l'histoire mise en scène et transcendée par
la littérature. Juste un changement de focale sur des détails authentiques et
des moments de vérité.
Traduit dans plusieurs dizaines
de langues, L'Ordre du jour est paru récemment aux États-Unis où les rapports
entre histoire et fiction ne sont pas tout à fait les mêmes qu'en France. Si un
accueil enthousiaste lui a été réservé, notamment dans le Wall Street Journal
et le New Yorker, il en a été différemment dans la New York Review of Books. Il
est vrai que l'ouvrage y avait été confié non à un critique littéraire mais au
grand historien de la France de Vichy Robert Paxton. Usant d'un ton étonnamment
sarcastique (il doute que la postérité littéraire retienne le nom de Vuillard),
lui reprochant son « dogmatisme », Robert Paxton ironise sur le livre « le plus
mince » jamais couronné par le Goncourt (mais depuis quand la longueur d'un
texte porte-t-elle jugement sur sa qualité ?). Surtout il semble gêné par cette
impression de réalité laissée par le texte, qui relève, à ses yeux, de la «
non-fiction ». Ce qui amène l'historien américain à faire un cours passionnant
sur les rapports du grand capital et du nazisme.
Sur le fond, et c'est ce qui
importe, il reproche à Éric Vuillard d'avoir resserré la focale sur le fait que
les grandes entreprises allemandes avaient financé prioritairement le parti
nazi, négligeant qu'elles en avaient fait de même et largement avec les partis
conservateurs traditionnels. Et, dans son élan, il rappelle que cette vue
sélective avait été celle de l'Internationale communiste en 1924 à propos du
fascisme, manière de mettre en doute la neutralité de l'auteur...
A cette maladresse Éric Vuillard
a répondu par une autre en mettant en cause la propre neutralité de Robert
Paxton au motif que celui-ci aurait été le « disciple » de l'historien des
idées politiques Raoul Girardet, présenté comme « maurrassien », proche de
l'OAS pendant la guerre d'Algérie et surtout d'« extrême droite », assertions qui
méritent d'être nuancées sinon démenties. Faut-il voir dans cet échange musclé
un conflit générationnel entre le Français (né en 1968) et l'Américain (né en
1932) ?
Au vrai, Robert Paxton reproche à
Éric Vuillard de s'emparer de l'histoire sans être historien - ce que confirme
sa formation universitaire (théorie du droit, science politique, philosophie,
anthropologie) - et de ne pas être neutre. Vieux et mauvais procès intenté aux
écrivains, que l'on croyait obsolète. D'eux on attend tout, sauf de la neutralité
! Robert Paxton oublie juste que la littérature a tous les droits, qu'Éric
Vuillard ne prétend pas être un chercheur ni faire référence et qu'il n'essaie
pas d'être complet, et encore moins exhaustif. Autant reprocher au dramaturge
Arthur Miller, qui s'était pourtant solidement documenté sur la chasse aux
sorcières de 1692 dans le Massachusetts, d'avoir pris des libertés avec
l'exactitude historique en écrivant sa pièce Les Sorcières de Salem (1953) ! Et
que dire du Thomas Mann des Buddenbrook ou du Luchino Visconti des Damnés ? Les
exemples sont innombrables.
S'il en avait fait l'effort au
lieu de s'aventurer dans le champ de ce qu'il appelle « la bonne fiction »,
Robert Paxton aurait découvert quelle lecture a lancé Éric Vuillard dans
l'écriture de son récit : un passage de L'Esprit des lois dans lequel
Montesquieu méditait sur les dangers de la concentration de l'argent et du
pouvoir entre les mains de quelques-uns...
Pierre Assouline est membre du comité scientifique de L'Histoire, il a récemment publié Occupation (Robert Laffont, « Bouquins », 2018).
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L’écrivain Eric Vuillard lors de son arrivée au restaurant Drouant pour y recevoir le prix Goncourt, à Paris, le 6 novembre, 2017
C’est peu de dire que le Goncourt ne semblait guère à « l’ordre du jour » pour Eric Vuillard, tant le neuvième livre de l’écrivain paraissait cumuler les handicaps, en dépit de sa présence parmi les finalistes du célèbre prix. En effet, il est paru en mai, non à la rentrée littéraire (le dernier cas de livre printanier primé en novembre remonte à 1998 : Confidence pour confidence, de Paule Constant) ; il a été publié par la maison d’édition que dirigeait encore il y a six mois Françoise Nyssen, la ministre de la culture, et les observateurs estimaient que cela pourrait paraître complaisant que de couronner ainsi un livre Actes Sud ; enfin, comme tous les textes d’Eric Vuillard, L’Ordre du jour est un « récit », non un roman – bien des ouvrages, à l’image du Royaume, d’Emmanuel Carrère (POL, 2014), se sont vu refuser la simple « sélection » au Goncourt parce qu’ils ne relevaient pas de la fiction.
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https://www.lemonde.fr/livres/article/2017/11/06/le-prix-goncourt-recompense-eric-vuillard-pour-l-ordre-du-jour_5210830_3260.html
« L’Ordre du jour », d’Eric Vuillard, couronné par le prix Goncourt
Le jury littéraire a récompensé ce récit court et fulgurant sur l’Anschluss.
Lire la critique de « L’Ordre du jour » : Eric Vuillard avant la seconde guerre mondiale
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La force de ce court texte a balayé toutes ces préventions et règles semi-tacites, l’imposant au troisième tour de scrutin, par six voix contre quatre à Bakhita, de Véronique Olmi (Albin Michel) – les deux autres auteurs en lice étaient Alice Zeniter, pour L’Art de perdre (Flammarion), et Yannick Haenel pour Tiens ferme ta couronne (Gallimard).
L’Ordre du jour est un livre d’une puissance sidérante dans sa simplicité. En 160 (petites) pages, il montre comment « les plus grandes catastrophes s’annoncent souvent à petit pas » et « soulève les haillons hideux de l’histoire » pour raconter la marche vers l’abîme de l’Europe à travers deux moments.
« Moment unique »
Le premier, c’est une réunion du 20 février 1933, où vingt-quatre puissants patrons allemands (Krupp, Opel, Siemens…), reçus par Hermann Göring et Adolf Hitler, devenu chancelier un mois plus tôt, sont exhortés à financer la campagne du parti nazi pour les législatives, et s’exécutent. « Ce moment unique de l’histoire patronale, une compromission inouïe avec les nazis, n’est rien d’autre pour les Krupp, les Opel, les Siemens, qu’un épisode assez ordinaire de la vie des affaires, une banale levée de fonds. Tous survivront au régime et financeront à l’avenir bien des partis à proportion de leur performance », écrit, grinçant, l’auteur.
Le deuxième moment, celui auquel il se consacre le plus longuement, c’est l’Anschluss, l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne, le 12 mars 1938. Il remonte en réalité un mois plus tôt, à la rencontre entre Adolf Hitler et le chancelier autrichien Kurt von Schuschnigg ; le 12 février, à Vienne, note Vuillard, « c’est carnaval : les dates les plus joyeuses chevauchent ainsi les rendez-vous sinistres de l’histoire ».
Eric Vuillard, écrivain : « Les dates les plus joyeuses chevauchent ainsi les rendez-vous sinistres de l’histoire »
Le grotesque et le tragique ne cessent de se mêler dans ce récit au fil duquel Vuillard choisit des scènes véridiques et méconnues (comme la panne des « panzers », réputés infaillibles, à peine la frontière autrichienne franchie, ou comme le dîner donné à Londres par le premier ministre Chamberlain durant lequel Joachim von Ribbentrop, tout neuf ministre nazi des affaires étrangères, abusa de la politesse de son hôte afin de retarder la réponse britannique à l’Anschluss). Il le fait pour détricoter les mythes à la peau dure, mettre au jour, avec précision et ironie, « l’aspect poisseux des combinaisons et des impostures qui font l’histoire ».
Se faufiler dans les coulisses d’événements historiques, et donner à voir l’envers du décor, révéler la part secrète de grotesque, de bêtise, de contingence, d’ennui et/ou de lâcheté, qui y menèrent… Telle est la méthode Vuillard. Né à Lyon en 1968, l’écrivain, également cinéaste (L’homme qui marche, 2006, Matteo Falcone, 2008), est convaincu que « l’histoire est un spectacle », comme il l’écrit dans L’Ordre du jour, ou, comme l’annonçait l’incipit du superbe Tristesse de la terre (Actes Sud, 2014), que « le spectacle est l’origine du monde ».
Eric Vuillard lors de l’annonce de son prix Goncourt, au restaurant Drouant, à Paris, le 6 novembre.
Eric Vuillard lors de l’annonce de son prix Goncourt, au restaurant Drouant, à Paris, le 6 novembre.
Contre l’oubli
Entré en littérature avec Le chasseur (Michalon, 1999), une fiction à part dans son œuvre, il a exploré, de sa plume magnifiquement rigoureuse, où pointes de lyrisme et de sarcasme se concurrencent, la chute de l’empire inca dans Conquistadors (Leo Scheer, 2009), la conquête coloniale dans Congo (Actes Sud, 2012), la première guerre mondiale dans La Bataille d’Occident (Actes Sud, 2012), la Révolution française dans 14 juillet (Actes Sud, 2016…
Contre l’empois et contre l’oubli, il écrit des récits généralement courts (à l’exception de Conquistadors), estimant, comme il le disait aux Assises internationales du roman de 2014 : « La littérature est une fable qui dégrise des fables, elle décrotte les auréoles de leurs dorures, puis elle les brise. (…) Aujourd’hui, le récit est peut-être l’un des noms de cette lente rupture avec la fable. L’imagination y défaille. La fiction devient autre chose, à mesure qu’elle se défait du mythe. »
Avec L’Ordre du jour, récit secouant les images et les mythes, texte contre la veulerie et la résignation de toutes les époques, c’est un livre fulgurant, d’une très longue portée en dépit de sa brièveté, que les Goncourt ont fait le choix de couronner.
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