duminică, 17 ianuarie 2021

Eco / VERTIGO. LISTA INFINITA

 « Nous aimons les listes parce que nous ne voulons pas mourir. » Umberto Eco

                               UMBERTO ECO, Vertigo. Lista infinita, Rao, 2009

În Iliada, întâlnim două modalităţi de reprezentare. Prima este exemplificată prin descrierea scutului lui Ahile de către Homer: este o formă desăvârşită şi completă în care Vulcanus povesteşte ceea ce se cunoştea despre un oraş, zona agricolă din jur, războaiele şi riturile închinate păcii, specifice acestuia. Cealaltă apare odată cu neputinţa poetului de a face cunoscute numărul şi identitatea tuturor războinicilor ahei: deşi cere ajutorul muzelor, trebuie să se limiteze la aşa-zisul, de altfel nesfârşitul, catalog al navelor, care se termină, într-o formă ideală, cu etcaetera. Cea de-a doua modalitate a reprezentării este enumerarea sau înşiruirea. Există enumerări limitate, care au scopuri practice, precum catalogul tuturor cărţilor dintr-o bibliotecă; dar există şi cele care vor să sugereze mărimi nenumărate şi care ne angrenează în vâltoarea infinitului. Antologia reunită în acest volum dovedeşte bogăţia infinită a enumerărilor din istoria seculară a literaturii, de la Hesiod la Joyce, de la Iezechiel la Gadda. Adesea, sunt întocmite doar de dragul înşiruirii, al muzicalităţii sau chiar dintr-o plăcere ameţitoare de a reuni elemente lipsite de o legătură specifică, aşa cum se întâmplă în cazul enumerărilor haotice. Dar această lucrare nu are doar meritul de a dezvălui o formă literară, rar studiată; evidenţiază, de asemenea, capacitatea artelor figurative de a sugera enumerări nesfârşite, chiar şi atunci când reprezentarea pare strict limitată de rama tabloului. Astfel, cititorul va regăsi în aceste pagini o înşiruire de imagini care îl vor determina să simtă vâltoarea infinitului.

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Umberto Eco, Vertige de la liste, Éditeur: FLAMMARION (28/10/2009)

Dans l'Iliade, Homère nous offre deux modes de représentation : le premier, c'est le bouclier d'Achille, une forme achevée et circonscrite où Vulcain représente tout ce qu'il sait sur une ville, sa campagne alentour, ses guerres et ses rites en temps de paix. Le second, c'est le fameux catalogue des navires, démesuré, que dresse le poète, impuissant à dire le nom et le nombre des guerriers achéens, et qui se conclut idéalement par un «et caetera». On appelle ce second mode de représentation la liste ou l'énumération. Il y a des listes pratiques et finies, comme celles qui recensent les livres d'une bibliothèque ; et il y a celles qui suggèrent l'incommensurable et nous font ressentir le vertige de l'infini.
Cet ouvrage montre que, depuis toujours, la littérature fourmille de listes, d'Hésiode à Joyce, d'Ézéchiel à Gadda. Il s'agit souvent d énumérations égrenées pour le goût de l'inventaire, la mélodie du dénombrement ou le plaisir vertigineux de réunir des éléments sans relation spécifique, comme dans les énumérations dites chaotiques. Mais ce volume ne nous propose pas seulement de découvrir une forme littéraire rarement analysée ; il nous montre aussi combien les arts figuratifs savent suggérer des énumérations infinies, même lorsque la représentation semble contrainte par l'encadrement d'un tableau.
Le lecteur trouvera dans ces pages de quoi s'étourdir en éprouvant le vertige de la liste.
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LIVRES LUS
Jérôme Lamy« Umberto Eco, Vertige de la liste »Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 116-117 | 2011

Umberto Eco, Vertige de la liste

Paris, Flammarion, 2009, 408 p.
Jérôme Lamy
Référence(s) :

Umberto Eco, Vertige de la liste, Paris, Flammarion, 2009, 408 p.

Auteur

Jérôme Lamy

Texte intégral

1Le paradoxe de la liste réside tout à la fois dans sa familiarité pratique et dans son étrangeté théorique. Que signifie cette manière d’organiser la pensée et les actes en une suite (nécessairement) finie ? Umberto Eco propose dans son ouvrage d’interroger l’histoire de la liste ; plus exactement, il retrace les formes d’énumération et leurs évolutions au cours du temps. Nourri de représentations artistiques diverses et nombreuses, le livre s’enrichit également de larges extraits de textes servis par une présentation érudite.

2Homère constitue le point d’ancrage d’Eco. La description du bouclier d’Achille dans l’Iliade, refermant quantité de scènes, témoigne d’un monde certes vaste, mais clos sur lui-même. L’objet organise une forme déictique dont l’esthétique peut se saisir. Dans le chant II de l’Iliade, c’est une autre énumération à laquelle procède Homère en évoquant l’immensité de l’armée grecque. La liste est ici ouverte et inachevée.

3Eco met immédiatement en garde le lecteur contre un schématisme trop simple qui supposerait l’énumération comme caractéristique des cultures primitives alors que la forme appartiendrait à la modernité. En fait, la liste ne cesse de réapparaître et d’envahir l’espace des représentations.

4Les tableaux de batailles, les natures mortes hollandaises ou les pullulements des œuvres de Bosch constituent quelques exemples d’énumérations figuratives quasi synecdotiques. La liste, même ébauchée, peut s’organiser en une représentation visuelle : l’éclatement des objets, des animaux, des matières qui la constituent difracte l’impression de vertige du spectateur. Dans cette perspective, Eco mobilise des auteurs qui tentent de circonscrire l’indécidable : Ovide indique ainsi qu’il ne peut évoquer toutes les Métamorphoses qu’il prend pourtant pour objet ; de même Dante avoue ne pouvoir nommer tous les anges du ciel.

5Listes de choses, obsessionnelles et inquiétantes, comme les substances maléfiques des sorcières de Macbeth, listes de lieux, comme les villes évoquant l’enfance de Marcel Proust, les énumérations versent dans la démesure et l’excès. Umberto Eco propose donc une analytique de la liste qui distingue les listes pratiques (catalogues, listes de courses…) des listes poétiques. Les premières renvoient à la forme dans leur caractère référentiel et inaltérable, les secondes envahissent la littérature pour y créer des vertiges d’énumérations grisantes. Bien sûr ces catégories ne sont pas étanches et des circulations restent possibles.

6L’énumération est régie par des règles rhétoriques empruntées à la littérature médiévale : incrementum, anaphore, asyndète, polyndète sont utiles pour décrire la constitution des listes, mais non point pour expliquer l’étourdissement qu’elles procurent. Umberto Eco tente alors de décrire les énumérations possibles : fatras des encyclopédies médiévales, collections et trésors témoignent du souci d’accumulation. La Renaissance marque une importante césure dans l’art d’entasser les choses. Le merveilleux télescope la pensée préscientifique et le surgissement des Wunderkammer témoigne de l’utopie holistes de l’effort savant.

7Le baroque se distingue par des énumérations aux « structures encyclopédiques ». Sans systématisme aucun, les listes de propriétés prolifèrent en rhizomes galopants. L’excroissance continue de Los Angeles constitue la version contemporaine de cet éclatement sans fin (ni centre) de l’architecture.

8L’origine de l’excès énumératif se situe probablement à la Renaissance : les listes rabelaisiennes débordent, se répandent et font fi des ordres et des hiérarchies. Eco distingue les listes par excès, conservant une certaine cohérence, et les énumérations sans retenue, chaotiques et débridées. Le Je me souviens de Pérec ou les monologues intérieurs chez Joyce ressortissent du premier type de listes. Le Bateau ivre de Rimbaud confine à l’« hétérogénéité absolue ».

9Le développement récent des médias de masse ainsi que l’hybris capitaliste de l’accumulation mortifère répandent les énumérations partielles dans les vitrines, les foires-expositions, les passages de commerce. La toile offre, in fine, le vertige virtuel d’une liste à l’éclectisme sans pareil. Les « réceptacles » de liste – et Eco songe ici aux bibliothèques – n’échappent pas à la quête d’énumération sans fin.

10Entre érudition foisonnante et essai historique iconoclaste, le Vertige de la liste offre une lecture originale et passionnante de l’obsession énumérative et de ses transformations. La saisie du monde à travers des listes s’avère une entreprise vouée à l’échec. La formule terminale « et cætera… » constitue, en son ouverture fragile et indécise, une tentative pathétique de tendre vers l’infini. Car par delà la variété des énumérations, c’est l’incomplétude de l’existence et son caractère fini qui organisent le paradoxe de la liste. Le beau livre d’Umberto Eco offre de nombreuses perspectives pour interroger cette quête démesurée de la totalité par l’inventaire.

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Pour citer cet article
Référence électronique

Jérôme Lamy, « Umberto Eco, Vertige de la liste », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 116-117 | 2011, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 17 janvier 2021. URL : http://journals.openedition.org/chrhc/2419 ; DOI : https://doi.org/10.4000/chrhc.2419
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Tout est liste ! Décrire (écrire, peindre), c'est énumérer. La pensée, quand elle ne s'appuie pas sur l'analogie, ne peut être que l'inverse de celle-ci: le catalogue, c'est,'étymologiquement, le logos qui descend (quand l'analogue est le logos qui s'élève; confère le Mont Analogue, de René Daumal).
Mais, contrairement, à ce que pourrait faire croire cette introduction quelque peu pédante, rien d'ennuyeux dans le livre d'Eco. C'est un régal pour les yeux (de merveilleuses illustrations) et pour l'esprit : à bien y regarder, la littérature et la peinture fourmillent d'inventaires (et pas seulement à la Prévert), un exercice auquel se sont adonnés les plus grands (Borges, bien sûr, mais aussi Bacon, Calvino, Cendrars, Cervantes, Dante, Dickens, Éluard, Gadda, Gautier, Goethe, Homère, Hugo, Huysmans, Joyce, Kipling, Lautréamont, Mann, Neruda, Perec, Poe, Proust, Pynchon, Rabelais, Rimbaud, Rostand, Shakespeare, Twain, Villon, Whitman, Wilde ou Zola, pour ne citer que quelques littérateurs').
L'intelligence du propos d'Eco, la variété et la qualité des citations, la beauté du papier glacé et des reproductions font de cet ouvrage un objet qu'on ne lâche pas de sitôt et que l'on reprend souvent après l'avoir lu, ne serait-ce que pour le faire connaître à ses amis chers :'' à laisser sur la table basse du salon'

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PUBLIÉ LE02 DÉCEMBRE 2009 PAR LUNETTES ROUGES

Le vertige de la liste

Umberto Eco, invité du Louvre, a choisi comme thème la liste, l’énumération, le catalogue, l’inventaire. Outre diverses conférences, lectures et concerts, il y a une petite exposition tout au bout de la grande galerie (jusqu’au 8 février) : disons de suite qu’elle est plutôt décevante. Est-il si difficile de présenter des oeuvres visuelles sur la liste ? Non, le livre d’Eco en est plein, et de somptueuses. Il est dommage qu’aussi peu d’espace ait été dédié à cette exposition, et qu’on n’y voit que des oeuvres petites, finies, limitées, timorées, alors que tant d’oeuvres du musée aurait eu leur place ici.

Mais saluons le titre : Mille e tre, qui nous vient de l’énumération par Leporello des femmes que son maître Don Juan a séduites et dont il tient soigneusement la liste (« Madamina, il catalogo è questo »); mille trois Espagnoles eurent donc les hommages du grand séducteur (ainsi que cent Françaises et quatre-vingt-onze Turques). « Parmi elles, il y a des paysannes, des femmes de chambre, des bourgeoises, des comtesses, …, des femmes de tout rang, de toute apparence, de tout âge. Peu lui importe qu’elle soit riche, qu’elle soit laide, qu’elle soit belle; pourvu qu’elle porte le jupon, vous savez bien ce qu’il fait » dit-il à Donna Elvira trahie par le séducteur (K. 527, Acte 1, air n°4).

Sur un mur décoré du Marabout de Claude Closky (ci-dessus), maître ès listes dont on aurait aimé voir plus ici (Eco définit Marabout comme un chaos du signifié où seul le Gsignifiant est cohérent), on trouve des listes de comptes (Carache), de couleurs (Delacroix), de tableaux (Th. Rousseau), de chiffres (Millet), de verbes (Richard Serra), d’apostrophes aux femmes (Annette Messager), de palindromes (Morellet), de ‘Je t’aime’ (Louise Bourgeois), de plantes (Paul-Armand Gette), de bonnes résolutions (I will not make any more boring art, John Baldessari). Là où j’aurais aimé une série d’Opalka, il n’y a qu’un petit carton. A l’exception peut-être des départements de bibliothèque d’Anne et Patrick Poirier, rien ici n’atteint la densité de réflexion qu’on peut trouver dans le livre d’Eco. Et la quasi totalité des oeuvres montrées ici sont purement textuelles, passant à côté de la richesses des listes visuelles que le livre expose si bien.

Vertige de la Liste, écrit pour l’occasion, est une superbe réflexion sur la liste, finie ou infinie. Pour Eco, les cultures avancées, connaissant le monde et le comprenant, le décrivent de manière hiérarchique, avec une forme précise; les cultures primitives, n’ayant qu’une image imprécise de l’univers, vont privilégier la liste informe, jamais terminée, jamais fermée, voire aspirant à l’infini. Mais ce qui ne peut pas se compter, se définir est sinon indicible, en tout cas indénombrable. Eco site la liste de fleuves de Finnegans Wake (et leurs variations selon les langues) ou l’Aleph de Borges; il distingue liste pratique, qui tend vers la forme, et liste poétique, inutile, qui s’en affranchit.

La difficulté à laquelle se confronte Eco est que, si un texte peut offrir une liste infinie, une oeuvre d’art, bornée dans son cadre, dans sa matière, le peut plus difficilement, mais il nous offre natures mortes, foules (ci-contre les anges du Couronnement de la Vierge, de Filippo Lippi) et galeries de tableaux tendant vers cet infini (le livre est remarquablement illustré, et les citations visuelles y sont aussi riches que les textuelles). J’ai aimé la démonstration du passage de la liste à la forme chez Arcimboldo, qui prend les éléments d’une liste potentiellement infinie (fruits et légumes) et en compose une forme (visage), mais pas celle qui était attendue, « une forme difforme, déformée », incongrue, baroque, pré-surréaliste.

Il y a de beaux passages sur la rapacité muséale, sur l’urbanisme de Los Angeles comme modèle de ville-liste en labyrinthe ouvert (alors que les villes européennes seraient des villes-formes), sur l’excès des listes (chez Rabelais, par exemple) et sur leur pouvoir hallucinatoire (ainsi les Litanies à la Vierge). Eco conclut avec le vertige de la liste des animaux de Borges : « appartenant à l’empereur; embaumés; apprivoisés; cochons de lait; sirènes; fabuleux; chiens en liberté; inclus dans la présente classification; qui s’agitent comme des fous; innombrables; dessinés avec un pinceau très fin de poil de chameau; et caetera; qui viennent de casser la cruche; qui de loin semblent être des mouches. » La mise en abyme, l’ensemble qui se comprend lui-même, et ce et caetera central donnent le tournis. C’est là tout le bien que je vous souhaite à la lecture de ce livre (ici les animaux de l’Arche de Noé dans un manuscrit français du XIIème siècle conservé à la Bibliothèque des Arts décoratifs à Paris).

« Nous aimons les listes parce que nous ne voulons pas mourir »

Umberto Eco, Vertige de la liste, Flammarion, Paris, 2009, 408 pages; disponible chez Dessin Original pour 37.05 euros. 




Le vertige de la liste
 [Opinion] 


Pêle-mêle, Arcimboldo nous fait sa liste d’épicerie avec les primeurs du printemps. Tiré de Vertige de la liste d’Umberto Eco, Flammarion Québec: Le Printemps, 1573, Giuseppe Arcimboldo, Musée du Louvre, Paris. 

Photo: Pêle-mêle, Arcimboldo nous fait sa liste d’épicerie avec les primeurs du printemps. Tiré de Vertige de la liste d’Umberto Eco, Flammarion Québec: Le Printemps, 1573, Giuseppe Arcimboldo, Musée du Louvre, Paris.

Josée BlanchetteJosée Blanchette
4 décembre 2009
CHRONIQUE

L'Avent, déjà, et je suis prise de vertiges devant les détails qui rendront à Noël ses artifices et ses joies, sa lumière et sa cohérence. Des listes et des listes de flocons épars dansent dans ma tête avant d'être déposés dans l'ordre et le désordre sur des blocs-notes. Liste d'invités, liste d'emplettes, liste du père Noël, liste de plats à préparer, liste de choses à faire ou défaire, de gens à rappeler, de pèlerinages nécessaires... Les listes gèrent ma vie et je gère des listes.

Les listes pratiques rassurent, en principe, ordonnent, de préférence, dégagent la mémoire vive et alignent des objets ou événements distanciés par la forme ou le fond, rassemblent ce qui n'était pas conçu pour se rencontrer. Salmigondis de mots, la liste est infinie et impose sa tyrannie de la naissance à la mort, de la liste de prénoms au testament, la liste ultime de nos biens à léguer. La liste nous survit, donc.

Lorsque je suis tombée sur le dernier livre d'Umberto Eco, Vertige de la liste, j'ai su que j'avais affaire à un maître. Dans cette liste des listes, Eco traite de la poétique de la liste, de l'énumération du contenu du tiroir de cuisine de Léopold Bloom dans l'avant-dernier chapitre d'Ulysse tout autant que du Boléro de Ravel ou de L'Iliade d'Homère. Et si Eco nous épargne bien des listes et des et caetera, il partage avec nous la liste des anges, celle des démons, la liste des odeurs de Süskind (dans Le Parfum), celle des trésors de Tom Sawyer.

Pour Eco, les listes pratiques ont trois caractéristiques: elles sont purement référentielles, elles sont finies (elles se réfèrent aux objets dont elles traitent et à aucun autre) et elles ne sont pas altérables: «Une liste pratique n'est jamais incongrue, pourvu qu'on identifie le critère d'assemblage qui la régit, même une liste qui énumérerait un balai, un exemplaire incomplet d'une biographie de Galien, un foetus sous alcool ou (pour citer Lautréamont) un parapluie et une table de dissection: il suffirait d'établir qu'il s'agit de l'inventaire d'objets relégués dans la cave d'une faculté de médecine.»


Une collection comme une autre

Petits, on consulte les catalogues de jouets, s'imaginant plus riches de tous ces trésors convoités et ne sachant pas encore que posséder tue le désir. Plus tard, bien plus tard, on fait une liste de résolutions pour entamer la nouvelle année. Puis on y renonce, acceptant d'être possédés par nos vices, négociant avec eux.

J'aime les listes car elles ont la prétention de contenir le monde, d'y enfermer sa magie. Je m'y sens en sécurité. Que ce soit la liste des 20 aliments les plus antioxydants ou la liste des films de la Boîte Noire, la liste des litanies ou celle des apôtres, j'aime suivre ce fil conducteur envers et contre le fatras apparent.

La liste est une collection comme une autre et peut sembler maniaque à ceux qui n'en font pas. La liste est rassembleuse, voilà tout, et je ne me lasse pas de relire L'Art des listes de Dominique Loreau, qui nous enseigne comment tout ordonner, tant dans la domesticité que dans la pensée, en établissant des listes, des priorités.

Mais peu importe de quelle religion on se réclame, celle de la liste élève ses minarets partout, même en Suisse. Sur Google, on trouve une liste de liens, sur Facebook une liste d'amis, sur Wikipédia une liste de faits, et dans les dictionnaires une liste de mots.

Dans l'amusante émission La Liste animée par Mitsou à Artv, on retrouve des tas de listes plus originales les unes que les autres. Ainsi, la liste des autos avec le plus de personnalité au grand écran (Choupette, Flash McQueen, Christine, Batmobile), la liste des numéros de téléphone les plus connus en publicité, la liste des personnalités qui rapportent le plus... même six pieds sous terre (Elvis, le papa de Charlie Brown, John Lennon), la liste des chansons avec lesquelles on ne voudrait pas mourir (celle de Mitsou comprend La Vie chante de René Simard), la liste des duos mythiques de la chanson au Québec et celle des films pour contrer le décrochage scolaire (La Société des poètes disparus, Et la musique, Chagrin d'école, Les Choristes).


Aspirer au réel

La liste (pratique) n'est rien d'autre qu'une aspiration, une direction à suivre. Parfois on s'en détourne, parfois on rature avec enthousiasme, parfois on contemple le chemin à parcourir en ponctuant d'un soupir. «Les puritains faisaient fréquemment des listes de leurs transgressions morales. Benjamin Franklin faisait celle des treize vertus qu'il avait décidé d'acquérir: tempérance, frugalité, propreté, tranquillité, humilité... Il faisait même un graphe de ses malheureux progrès sur chaque vertu. Mais ce genre de liste n'apporte pas de satisfaction. Il est une forme d'autocensure», écrit Dominique Loreau.

Cabinet de curiosités, vitrine sur le monde, la liste nous échappe, mais réussissons-nous à lui échapper? Notre nom figure dans un bottin ou deux, sur une liste électorale ou sur la liste des abonnés absents. Et chaque Noël nous rappelle que le temps court, tempus fugit, la liste est longue et tout reste à faire.

Le vertige, au final, consiste à se planter devant le calendrier, cette liste des «à venir», et de savoir qu'une seule vie n'y suffira pas. Et comme disait le philosophe, si la mort était un service public, il y aurait des listes d'attente là aussi. Ça console, mais ça ne guérit pas.

(cherejoblo@ledevoir.com)





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