« Nous aimons les listes parce que nous ne voulons pas mourir. » Umberto Eco
UMBERTO ECO, Vertigo. Lista infinita, Rao, 2009
În Iliada, întâlnim două modalităţi de reprezentare. Prima este exemplificată prin descrierea scutului lui Ahile de către Homer: este o formă desăvârşită şi completă în care Vulcanus povesteşte ceea ce se cunoştea despre un oraş, zona agricolă din jur, războaiele şi riturile închinate păcii, specifice acestuia. Cealaltă apare odată cu neputinţa poetului de a face cunoscute numărul şi identitatea tuturor războinicilor ahei: deşi cere ajutorul muzelor, trebuie să se limiteze la aşa-zisul, de altfel nesfârşitul, catalog al navelor, care se termină, într-o formă ideală, cu etcaetera. Cea de-a doua modalitate a reprezentării este enumerarea sau înşiruirea. Există enumerări limitate, care au scopuri practice, precum catalogul tuturor cărţilor dintr-o bibliotecă; dar există şi cele care vor să sugereze mărimi nenumărate şi care ne angrenează în vâltoarea infinitului. Antologia reunită în acest volum dovedeşte bogăţia infinită a enumerărilor din istoria seculară a literaturii, de la Hesiod la Joyce, de la Iezechiel la Gadda. Adesea, sunt întocmite doar de dragul înşiruirii, al muzicalităţii sau chiar dintr-o plăcere ameţitoare de a reuni elemente lipsite de o legătură specifică, aşa cum se întâmplă în cazul enumerărilor haotice. Dar această lucrare nu are doar meritul de a dezvălui o formă literară, rar studiată; evidenţiază, de asemenea, capacitatea artelor figurative de a sugera enumerări nesfârşite, chiar şi atunci când reprezentarea pare strict limitată de rama tabloului. Astfel, cititorul va regăsi în aceste pagini o înşiruire de imagini care îl vor determina să simtă vâltoarea infinitului.
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Umberto Eco, Vertige de la liste, Éditeur: FLAMMARION (28/10/2009)
Umberto Eco, Vertige de la liste
Umberto Eco, Vertige de la liste, Paris, Flammarion, 2009, 408 p.
1Le paradoxe de la liste réside tout à la fois dans sa familiarité pratique et dans son étrangeté théorique. Que signifie cette manière d’organiser la pensée et les actes en une suite (nécessairement) finie ? Umberto Eco propose dans son ouvrage d’interroger l’histoire de la liste ; plus exactement, il retrace les formes d’énumération et leurs évolutions au cours du temps. Nourri de représentations artistiques diverses et nombreuses, le livre s’enrichit également de larges extraits de textes servis par une présentation érudite.
2Homère constitue le point d’ancrage d’Eco. La description du bouclier d’Achille dans l’Iliade, refermant quantité de scènes, témoigne d’un monde certes vaste, mais clos sur lui-même. L’objet organise une forme déictique dont l’esthétique peut se saisir. Dans le chant II de l’Iliade, c’est une autre énumération à laquelle procède Homère en évoquant l’immensité de l’armée grecque. La liste est ici ouverte et inachevée.
3Eco met immédiatement en garde le lecteur contre un schématisme trop simple qui supposerait l’énumération comme caractéristique des cultures primitives alors que la forme appartiendrait à la modernité. En fait, la liste ne cesse de réapparaître et d’envahir l’espace des représentations.
4Les tableaux de batailles, les natures mortes hollandaises ou les pullulements des œuvres de Bosch constituent quelques exemples d’énumérations figuratives quasi synecdotiques. La liste, même ébauchée, peut s’organiser en une représentation visuelle : l’éclatement des objets, des animaux, des matières qui la constituent difracte l’impression de vertige du spectateur. Dans cette perspective, Eco mobilise des auteurs qui tentent de circonscrire l’indécidable : Ovide indique ainsi qu’il ne peut évoquer toutes les Métamorphoses qu’il prend pourtant pour objet ; de même Dante avoue ne pouvoir nommer tous les anges du ciel.
5Listes de choses, obsessionnelles et inquiétantes, comme les substances maléfiques des sorcières de Macbeth, listes de lieux, comme les villes évoquant l’enfance de Marcel Proust, les énumérations versent dans la démesure et l’excès. Umberto Eco propose donc une analytique de la liste qui distingue les listes pratiques (catalogues, listes de courses…) des listes poétiques. Les premières renvoient à la forme dans leur caractère référentiel et inaltérable, les secondes envahissent la littérature pour y créer des vertiges d’énumérations grisantes. Bien sûr ces catégories ne sont pas étanches et des circulations restent possibles.
6L’énumération est régie par des règles rhétoriques empruntées à la littérature médiévale : incrementum, anaphore, asyndète, polyndète sont utiles pour décrire la constitution des listes, mais non point pour expliquer l’étourdissement qu’elles procurent. Umberto Eco tente alors de décrire les énumérations possibles : fatras des encyclopédies médiévales, collections et trésors témoignent du souci d’accumulation. La Renaissance marque une importante césure dans l’art d’entasser les choses. Le merveilleux télescope la pensée préscientifique et le surgissement des Wunderkammer témoigne de l’utopie holistes de l’effort savant.
7Le baroque se distingue par des énumérations aux « structures encyclopédiques ». Sans systématisme aucun, les listes de propriétés prolifèrent en rhizomes galopants. L’excroissance continue de Los Angeles constitue la version contemporaine de cet éclatement sans fin (ni centre) de l’architecture.
8L’origine de l’excès énumératif se situe probablement à la Renaissance : les listes rabelaisiennes débordent, se répandent et font fi des ordres et des hiérarchies. Eco distingue les listes par excès, conservant une certaine cohérence, et les énumérations sans retenue, chaotiques et débridées. Le Je me souviens de Pérec ou les monologues intérieurs chez Joyce ressortissent du premier type de listes. Le Bateau ivre de Rimbaud confine à l’« hétérogénéité absolue ».
9Le développement récent des médias de masse ainsi que l’hybris capitaliste de l’accumulation mortifère répandent les énumérations partielles dans les vitrines, les foires-expositions, les passages de commerce. La toile offre, in fine, le vertige virtuel d’une liste à l’éclectisme sans pareil. Les « réceptacles » de liste – et Eco songe ici aux bibliothèques – n’échappent pas à la quête d’énumération sans fin.
10Entre érudition foisonnante et essai historique iconoclaste, le Vertige de la liste offre une lecture originale et passionnante de l’obsession énumérative et de ses transformations. La saisie du monde à travers des listes s’avère une entreprise vouée à l’échec. La formule terminale « et cætera… » constitue, en son ouverture fragile et indécise, une tentative pathétique de tendre vers l’infini. Car par delà la variété des énumérations, c’est l’incomplétude de l’existence et son caractère fini qui organisent le paradoxe de la liste. Le beau livre d’Umberto Eco offre de nombreuses perspectives pour interroger cette quête démesurée de la totalité par l’inventaire.
Référence électronique
Jérôme Lamy, « Umberto Eco, Vertige de la liste », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 116-117 | 2011, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 17 janvier 2021. URL : http://journals.openedition.org/chrhc/2419 ; DOI : https://doi.org/10.4000/chrhc.2419
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PUBLIÉ LE02 DÉCEMBRE 2009 PAR LUNETTES ROUGES
Le vertige de la liste
Umberto Eco, invité du Louvre, a choisi comme thème la liste, l’énumération, le catalogue, l’inventaire. Outre diverses conférences, lectures et concerts, il y a une petite exposition tout au bout de la grande galerie (jusqu’au 8 février) : disons de suite qu’elle est plutôt décevante. Est-il si difficile de présenter des oeuvres visuelles sur la liste ? Non, le livre d’Eco en est plein, et de somptueuses. Il est dommage qu’aussi peu d’espace ait été dédié à cette exposition, et qu’on n’y voit que des oeuvres petites, finies, limitées, timorées, alors que tant d’oeuvres du musée aurait eu leur place ici.
Mais saluons le titre : Mille e tre, qui nous vient de l’énumération par Leporello des femmes que son maître Don Juan a séduites et dont il tient soigneusement la liste (« Madamina, il catalogo è questo »); mille trois Espagnoles eurent donc les hommages du grand séducteur (ainsi que cent Françaises et quatre-vingt-onze Turques). « Parmi elles, il y a des paysannes, des femmes de chambre, des bourgeoises, des comtesses, …, des femmes de tout rang, de toute apparence, de tout âge. Peu lui importe qu’elle soit riche, qu’elle soit laide, qu’elle soit belle; pourvu qu’elle porte le jupon, vous savez bien ce qu’il fait » dit-il à Donna Elvira trahie par le séducteur (K. 527, Acte 1, air n°4).
Sur un mur décoré du Marabout de Claude Closky (ci-dessus), maître ès listes dont on aurait aimé voir plus ici (Eco définit Marabout comme un chaos du signifié où seul le Gsignifiant est cohérent), on trouve des listes de comptes (Carache), de couleurs (Delacroix), de tableaux (Th. Rousseau), de chiffres (Millet), de verbes (Richard Serra), d’apostrophes aux femmes (Annette Messager), de palindromes (Morellet), de ‘Je t’aime’ (Louise Bourgeois), de plantes (Paul-Armand Gette), de bonnes résolutions (I will not make any more boring art, John Baldessari). Là où j’aurais aimé une série d’Opalka, il n’y a qu’un petit carton. A l’exception peut-être des départements de bibliothèque d’Anne et Patrick Poirier, rien ici n’atteint la densité de réflexion qu’on peut trouver dans le livre d’Eco. Et la quasi totalité des oeuvres montrées ici sont purement textuelles, passant à côté de la richesses des listes visuelles que le livre expose si bien.
Vertige de la Liste, écrit pour l’occasion, est une superbe réflexion sur la liste, finie ou infinie. Pour Eco, les cultures avancées, connaissant le monde et le comprenant, le décrivent de manière hiérarchique, avec une forme précise; les cultures primitives, n’ayant qu’une image imprécise de l’univers, vont privilégier la liste informe, jamais terminée, jamais fermée, voire aspirant à l’infini. Mais ce qui ne peut pas se compter, se définir est sinon indicible, en tout cas indénombrable. Eco site la liste de fleuves de Finnegans Wake (et leurs variations selon les langues) ou l’Aleph de Borges; il distingue liste pratique, qui tend vers la forme, et liste poétique, inutile, qui s’en affranchit.
La difficulté à laquelle se confronte Eco est que, si un texte peut offrir une liste infinie, une oeuvre d’art, bornée dans son cadre, dans sa matière, le peut plus difficilement, mais il nous offre natures mortes, foules (ci-contre les anges du Couronnement de la Vierge, de Filippo Lippi) et galeries de tableaux tendant vers cet infini (le livre est remarquablement illustré, et les citations visuelles y sont aussi riches que les textuelles). J’ai aimé la démonstration du passage de la liste à la forme chez Arcimboldo, qui prend les éléments d’une liste potentiellement infinie (fruits et légumes) et en compose une forme (visage), mais pas celle qui était attendue, « une forme difforme, déformée », incongrue, baroque, pré-surréaliste.
Il y a de beaux passages sur la rapacité muséale, sur l’urbanisme de Los Angeles comme modèle de ville-liste en labyrinthe ouvert (alors que les villes européennes seraient des villes-formes), sur l’excès des listes (chez Rabelais, par exemple) et sur leur pouvoir hallucinatoire (ainsi les Litanies à la Vierge). Eco conclut avec le vertige de la liste des animaux de Borges : « appartenant à l’empereur; embaumés; apprivoisés; cochons de lait; sirènes; fabuleux; chiens en liberté; inclus dans la présente classification; qui s’agitent comme des fous; innombrables; dessinés avec un pinceau très fin de poil de chameau; et caetera; qui viennent de casser la cruche; qui de loin semblent être des mouches. » La mise en abyme, l’ensemble qui se comprend lui-même, et ce et caetera central donnent le tournis. C’est là tout le bien que je vous souhaite à la lecture de ce livre (ici les animaux de l’Arche de Noé dans un manuscrit français du XIIème siècle conservé à la Bibliothèque des Arts décoratifs à Paris).
« Nous aimons les listes parce que nous ne voulons pas mourir »
Umberto Eco, Vertige de la liste, Flammarion, Paris, 2009, 408 pages; disponible chez Dessin Original pour 37.05 euros.
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