sâmbătă, 31 iulie 2021

AGATHA CHRISTIE / A summer of crime

 Agatha, tu m'assassine...


Agatha Christie en 6 romans

Focus sur mon auteur préférée, la grande et unique Agatha Christie. Également connue sous le surnom de « Reine du crime », c’est l’une des auteurs les plus lues au monde. Et avec raison. En amont d’un prochain dossier sur l’auteur britannique, je vous présente mes 6 œuvres préférées même si le choix s’est avéré cornélien et peut changer à tout moment.

Trois souris

Résumé : Un jeune couple qui vient d’ouvrir une pension de famille cumule les problèmes. Ils subissent un violente tempête de neige, ils apprennent par la police qu’un meurtrier se cacherait parmi leurs clients. Et comble de l’horreur, tout ceci se déroule le jour de l’ouverture !

Pourquoi j’ai succombé : Agatha Christie joue avec nos nerfs dans cette nouvelle où tous les personnages cachent leur jeu. Qui est le tueur ? Et comment le démasquer en attendant l’arrivée de la police, qui doit se frayer un chemin dans la neige ? On retrouve volontiers l’atmosphère d’Ils étaient 10 (ancien 10 petits nègres) ou du Crime de l’Orient Express. Un huis-clos oppressant où l’on doit analyser chaque parole et se fier à son instinct pour chercher le coupable.

Trois souris, Agatha Christie

Mort sur le Nil

Résumé : La jeune et belle Linnet Ridgeway tombe amoureuse de Simon Doyle. Alors qu’il était fiancé à sa meilleure amie, Jacqueline de Bellefort. Le couple part en croisière en Egypte sur le Nil. Mais sur le bateau, une mauvaise surprise les attend. Jacqueline est également de la partie, bien décidée à leur pourrir la vie. Mais lorsque est retrouvée morte, Hercule Poirot, également présent sur le bateau, doit prendre la situation en main et résoudre l’enquête.

Pourquoi j’ai succombé : Mort sur le Nil est l’un des romans les plus populaire d’Agatha Christie, adapté à l’écran par les plus grands acteurs. C’est un roman dans lequel on croit tout savoir, mais toutes nos croyances s’effondrent au fur et à mesure de la lecture. Les preuves sont là, les suspects sont présents, mais la vérité semble pourtant nous échapper. Qui est coupable ? Que s’est-il réellement passé ? Je lui ai trouvé des similitudes avec Le meurtre de Roger Ackroyd (qui soit dit en passant est un véritable chef-d’œuvre d’écriture).

Mort sur le Nil - Agatha Christie

Je ne suis pas coupable

Résumé : Elinor Carlisle se retrouve à la fois accusée du meurtre de sa tante Laura Welman, et de sa rivale Mary Gerrard. On lui reproche d’avoir tué la première pour sa fortune et la seconde par jalousie (son fiancé l’a quittée pour elle). Chose surprenante, la jeune femme ne cherche pas vraiment à se défendre. Seul un médecin, Peter Lord, croit en son innocence et s’en va solliciter l’aide d’Hercule Poirot pour révéler la vérité.

Pourquoi j’ai succombé : J’ai adoré la construction du roman Je ne suis pas coupable. Il se divise en trois parties bien distinctes, chacune apportant matière au récit. Elinor n’est pas une femme comme les autres. Son récit constitue la première partie. Nous voyons donc son état d’esprit jusqu’au moment du meurtre de Mary. Dans la deuxième partie, nous assistons au procès avec l’intervention d’Hercule Poirot qui fournit les éléments qu’il a trouvé. La troisième partie se poursuit avec le procès, mais du point de vue d’Elinor. C’est la première fois que nous assistons à la résolution d’une enquête du côté judiciaire.

Je ne suis pas coupable, Agatha Christie

Une poignée de seigle

Résumé : A la mort de Mr. Fortescue, l’inspecteur Neele est chargé de l’enquête, qui s’avère bien plus compliquée que prévue. Lorsqu’une troisième victime est à dénombrer, Miss Marple entre en scène. La jeune femme décédée était en effet son ancienne servante à St. Mary Mead. L’inspecteur et la vieille femme décide alors de l’allier afin de trouver le meurtrier.

Pourquoi j’ai succombé : Une poignée de seigle est un roman que je considère comme original, tant dans sa forme que dans son fond. Plusieurs personnes sont assassinées l’une après l’autre, de différentes façons. Le problème est que les suspects ne manquent pas, car chacun avait ses raisons d’en vouloir au patriarche qu’était Mr. Fortescue. J’aime beaucoup lorsqu’Agatha Christie écrit des romans de plusieurs points de vue, ce qui nous permet d’avoir un aperçu de la psyché des personnages. Dans ce roman, nous avons accès aux pensées de Miss Marple et de l’inspecteur Neele.

Les pendules

Résumé : Sheila Webb, une jeune sténo-dactylo dans une agence de secrétariat, doit se rendre chez Miss Pebmarsh pour une mission ponctuelle. Ses consignes sont claires : entrer dans la maison et attendre la maîtresse des lieux si elle n’est pas présente. Mais sur place, la jeune femme découvre avec stupeur, et la plus grande horreur, un cadavre.

Pourquoi j’ai succombé : J’ai adoré la façon dont le roman se déroule. On tombe directement dans le vif du sujet avec la découverte du corps. Hercule Poirot n’intervient que bien plus tard, lorsque le jeune homme qui mène l’enquête vient solliciter son aide. Et encore, le détective belge participe depuis son fauteuil, ne prenant pas une part active aux investigations. Les pendules se déroule à l’aube de la guerre, il oscille donc entre roman policier et roman d’espionnage.

Les pendules, Agatha Christie

Jeux de glaces

Résumé : Miss Jane Marple se rend chez son amie Carrie Louise, qui habite Stonygates, un manoir victorien transformé en centre de détention pour délinquants juvéniles, avec son mari Lewis Serrocold et sa famille. La sœur de cette dernière s’inquiète en effet pour elle et souhaite que sa vieille amie lui rende visite. Sur place, Miss Marple découvre que Carrie Louise présente des symptômes suspects. Elle décide de mener l’enquête.

Pourquoi j’ai succombé : Jeux de glaces ne ressemble pas aux autres romans d’Agatha Christie. Je le trouve plus moderne dans ses propos. Nous tombons en effet en plein centre de détention, avec un couple qui travaille activement à leur réinsertion. De plus, Miss Marple doit enquêter discrètement, sans inquiéter ou avertir son amie de ses soupçons, au sein d’un environnement qui ne lui est pas familier. Un très bon roman.

Jeux de glaces, Agatha Christie

Agatha Christie sait rédiger des romans policiers comme personne. Et vous, quel est votre préféré ?

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Agatha Christie  

Agatha Christie
Biographie
Naissance
Décès
Voir et modifier les données sur Wikidata (à 85 ans)
Winterbrook (en)Voir et modifier les données sur Wikidata
Sépulture
Nom de naissance
Agatha Mary Clarissa MillerVoir et modifier les données sur Wikidata
Pseudonyme
MaryVoir et modifier les données sur Wikidata
Nationalité
Formation
Enseignement privé (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Activités
Période d'activité
Père
Frederick Alvah Miller (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Mère
Clarisa Margaret Boehmer (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Fratrie
Margaret Frary Miller (d)
Louis Montant Miller (en)Voir et modifier les données sur Wikidata
Conjoints
Enfant
Rosalind Hicks (en)Voir et modifier les données sur Wikidata
Autres informations
Domaine
Propriétaire de
Membre de
Mouvement
Genres artistiques
Roman policierroman d'aventuresautobiographie, fiction de détective (en)Voir et modifier les données sur Wikidata
Site web
Distinctions
Œuvres principales
signature
Vue de la sépulture.

Agatha Christie, née Agatha Mary Clarissa Miller le  à Torquay et morte le  à Wallingford (Oxfordshire), est une femme de lettres britannique, auteur de nombreux romans policiers. Son nom est associé à celui de ses deux héros : Hercule Poirot, détective professionnel belge, et Miss Marple, détective amateur. On la surnomme « la reine du crime ». En effet, Agatha Christie est l'un des écrivains les plus importants et novateurs du genre policier. Elle a aussi écrit plusieurs romans, dont quelques histoires sentimentales, sous le pseudonyme de Mary Westmacott.

Agatha Christie fait partie des écrivains les plus connus au monde et elle est considérée comme l'auteur le plus lu de l'histoire chez les Anglo-Saxons, après William Shakespeare ; c'est aussi de très loin l'auteur le plus traduit dans le monde[1]. Elle a publié 66 romans, 154 nouvelles et 20 pièces de théâtre, ces œuvres ayant été traduites dans le monde entier. La plupart des intrigues se déroulent à huis clos, ce qui permet au lecteur d'essayer de deviner l'identité du coupable avant la fin du récit. Mais toute la saveur de ses histoires réside justement dans la résolution de l'enquête, souvent improbable, prenant le lecteur par surprise.

Ses romans et nouvelles ont été adaptés au cinéma, dans des jeux vidéos ou à la télévision, en particulier Le Crime de l'Orient-ExpressDix Petits NègresMort sur le NilLe Train de 16 h 50 et Témoin à charge.

Biographie

Enfance

Agatha Miller enfant (date inconnue).
Agatha Miller enfant (date inconnue).

Agatha Mary Clarissa Miller est née le  à Torquay, dans le comté de Devon, d'un père américain[2] courtier, Frederick Alvah Miller, et d'une mère britannique, Clarisse Margaret Boehmer, fille d'un capitaine de l'armée britannique et lointaine cousine par alliance des Miller[3]. Ses parents appartenant à la classe moyenne supérieure donnent naissance à Margaret « Madge » Frary Miller (1879–1950), à Torquay où ils louent une maison, puis à Louis « Monty » Montant Miller (1880–1929), né à New York où la famille s'est installée car Frederick y est pour ses affaires. Clara (abréviation affectueuse du prénom Clarisse) achète une résidence à Torquay, nommée « Ashfield », où naît leur troisième et dernier enfant, Agatha Mary Clarissa[4],[5].

Alors que son frère et sa sœur sont placés en pensionnat, ses parents lui offrent une éducation à domicile soignée : sa gouvernante lui apprend à écrire et son père l'arithmétique, puis c'est essentiellement sa mère qui s'occupe d'elle à la suite de la mort de son père lorsqu'elle a onze ans[6]. Cette éducation lui permet d'écrire très tôt des poèmes, des contes et des nouvelles, encouragée par sa mère. Elle nourrit son imagination par des contes et poèmes puisés dans la bibliothèque familiale (notamment ceux de Mary Louisa Molesworth (en)Lewis Carroll et Edward Lear[7]) et l'intérêt de sa mère pour les religions et l'ésotérisme, ses enfants pensant qu'elle a le don de lire dans la pensée d'autrui[8]. Enfant enjouée mais timide et solitaire qui passe beaucoup de temps avec ses animaux, elle raconte qu'un moment fort de son existence est d'avoir joué comme figurante dans une production théâtrale locale de Yeoman of the Guard (en)[9].

En 1897-1898, la famille Miller vient passer six mois à Pau, à l'hôtel Beauséjour. Une jeune gouvernante française, Marie Sigé, est recrutée pour s'occuper de la petite Agatha. Non seulement elle lui fait pratiquer son français, lui léguant pour toujours une petite pointe d'accent du sud-ouest, mais encore elles s'entendent si bien que Marie Sigé suit la famille pendant plusieurs années, à Cauterets, à Paris, puis à Ashfield, en Angleterre[10],[11].

En 1902, elle est inscrite pour la première fois dans une école à Torquay, la Miss Guyer's Girls School. En 1906, sa mère l'emmène à Paris pour finir ses études dans des maisons d'éducation françaises (chez Mademoiselle Cabernet à Paris, puis aux Marronniers à Auteuil, enfin chez Miss Dryden à Paris qui fait office de Finishing School)[12]. Voulant embrasser une carrière d'artiste lyrique, elle y étudie notamment le chant et le piano, mais son trac et sa timidité excessive auront raison de ses talents[13]. Aussi, elle regagne Torquay, station balnéaire où viennent se réfugier de nombreux Belges pendant la Première Guerre mondiale. Elle reconnaîtra s'être inspirée pour son personnage d'Hercule Poirot plus particulièrement de réfugiés belges vivant dans une paroisse voisine après la Grande Guerre, de même les paysages de sa région natale ont inspiré de nombreuses intrigues de son détective belge[14].

Premiers romans et nouvelles

Sa mère étant tombée malade, elles décident toutes les deux de passer des vacances au Caire au climat plus chaud en 1910. Résidant pendant trois mois au Gezirah Palace Hotel, Agatha — toujours chaperonnée par sa mère — passe surtout son temps à rechercher un futur époux (trouver un époux convenable est important pour cette jeune femme à l'éducation victorienne qui a vaguement un sentiment d’infériorité par rapport à sa grande sœur qui est belle et a épousé James Watts, un homme riche écrivant des livres publiés[15]), aussi montre-t-elle peu d'intérêt pour les visites d'antiquités telles que la Grande Pyramide de Gizeh[16]. De retour en Grande-Bretagne, elle participe à l'écriture et la réalisation de représentations théâtrales amateurs, aidant notamment quelques amies à mettre sur pied une pièce intitulée The Blue Beard of Unhappiness. Elle écrit aussi de la poésie et des compositions de musique dont certaines sont publiées[17]. C'est aussi en 1910, alors qu'elle est clouée au lit par une fièvre, que sa mère lui met d'autorité un carnet dans les mains et lui enjoint d'écrire une histoire : elle rédige ainsi sa première nouvelle The House of Beauty qui a pour thème la folie et le rêve[18]. Elle poursuit l'écriture d'autres nouvelles comme The Call of Wings et The Lonely Petit qui illustrent son intérêt pour le spiritisme et le paranormal qu'elle tient de sa mère[19]. Elle les envoie à de nombreuses revues sous différents pseudonymes, mais tous ses premiers textes sont refusés, alors qu'ils seront tous revus et corrigés par la suite et publiés ultérieurement, parfois sous de nouveaux titres[20].

Sa sœur, qui lui a fait découvrir les énigmes bien ficelées de Sherlock Holmes et Arsène Lupin, la met depuis longtemps au défi d'écrire un roman policier auquel elle s’attelle alors : le premier d'entre eux, The Lonely Petit dont l'intrigue se passe au Caire. Elle l'envoie à divers éditeurs sous le pseudonyme de « Monosyllaba », mais là encore tous le refusent. Clara suggère alors à sa fille de demander conseil à un ami de la famille, l'écrivain à succès Eden Phillpotts[21]. Il l'encourage à persévérer et la recommande à son agent littéraire, Hughes Massie. Ce dernier, non convaincu par son roman, lui suggère d'en écrire un second[22].

Après plusieurs mois de « chasse au mari » au cours desquels elle entretient quatre relations successives, elle rencontre au cours d'un bal donné en 1912 par Lord et Lady Clifford à « Chudleigh », le lieutenant Archibald Christie (1889–1962), séduisant aviateur appartenant au Royal Flying Corps. Ils tombent rapidement amoureux et se fiancent. Son fiancé étant sur le point d'être appelé pour la Première Guerre mondiale, elle épouse le jour de Noël 1914 Archibald "Archie" Christie, dont elle conservera le patronyme comme nom de plume[23].

Durant la Grande guerre, elle s'engage dans un détachement d'aide volontaire comme infirmière bénévole dans la mairie de Torquay transformée en hôpital de la Croix-Rouge, puis en 1916 comme assistante-chimiste dans une pharmacie d'un hôpital militaire et obtient son diplôme de pharmacienne en avril 1917[24]. La préparation de nombreux remèdes pour les blessés lui permet de se familiariser avec les poisons et autres drogues qui apparaissent dans ses romans[25]. Pendant son temps libre, elle écrit son premier roman policier, La Mystérieuse Affaire de Styles, à la suite d'un pari avec sa sœur[26]. La lecture du Mystère de la chambre jaune, de Gaston Leroux, serait à l'origine de sa vocation[27]. De retour de la guerre, son mari Archibald Christie est promu colonel et affecté au Ministère de l'Armée de l'Air Rising, le couple s'installe au 5 Northwick Terrace dans le quartier St. John's Wood du centre de Londres. Elle donne naissance à sa fille unique, Rosalind, le [28].

Son mari rencontre vite des difficultés financières, aussi voit-elle dans la publication de ses textes un moyen d'augmenter les revenus du couple[29]. En 1920, elle trouve enfin un éditeur, Bodley Head, qui accepte de publier son premier roman, La Mystérieuse Affaire de Styles, où Hercule Poirot apparaît pour la première fois[30]. Naïve, ayant signé un contrat qui l'engage pour six romans tout en étant mal rétribuée, elle prend un agent, Edmunk Cork, qui le restera pendant toute sa carrière littéraire et la fera publier chez l'éditeur William Collins, Sons[31]. Elle obtient d'abord un succès d'estime par ses nouvelles mais c'est en 1926, avec la publication de son septième roman, Le Meurtre de Roger Ackroyd (8 000 exemplaires, ce qui est un succès de librairie pour l'époque), qu'Agatha Christie devient une des figures majeures du roman policier. Son succès est désormais assuré, grâce aux personnages de Hercule Poirot et de Miss Marple. Ses ouvrages se succèdent ensuite au rythme d'un ou deux par an.

Disparition

Article relatant la disparition de Christie à Harrogate.
Article relatant la disparition de Christie à Harrogate.

En 1926, sa mère meurt. Simultanément, son mari lui annonce son intention de divorcer. Il avoue avoir une maîtresse, Nancy Neele, qui est également une collègue avec qui il travaille dans la compagnie d'assurances.

Le , très affectée par la mort de sa mère et l'infidélité de son mari, Agatha Christie disparaît. Le lendemain, la police retrouve sa voiture, une Morris Cowley, abandonnée près de l'étang de Silent Pool. La presse britannique s'empare alors de l'affaire : suicide d'une femme délaissée, meurtre commandité par son époux voulant retrouver sa liberté ou coup de publicité d'une romancière voulant renforcer le succès de ses livres, les hypothèses ne manquent pas. De gigantesques battues sont organisées le mardi 7 et dimanche  dans les environs de Newlands Corner (en)[32], 15 000 bénévoles assistent la police dans ses recherches et les journaux promettent une récompense de 100 £[33].

L'Old Swan Hotel (anciennement Swan Hydropathic Hotel), où fut retrouvée Agatha Christie.
L'Old Swan Hotel (anciennement Swan Hydropathic Hotel), où fut retrouvée Agatha Christie.

Elle est retrouvée douze jours plus tard dans le Swan Hydropathic Hotel, hôtel de la station thermale d'Harrogate, où elle s'était inscrite comme pensionnaire sous le nom de « Mrs Teresa Neele », du nom de la maîtresse de son mari[34]. Agatha Christie prétend alors ne se souvenir de rien et semble ne pas reconnaître son mari venu la chercher, épisode qui peut être interprété comme une décompensation avec fugue amnésique et perte d'identité[35]. Elle ne s'expliquera jamais sur cette disparition rocambolesque[36],[37]. De nombreux témoignages semblent indiquer qu'elle a organisé cette disparition pour mettre dans l'embarras son mari, qui obtiendra finalement le divorce en  et épousera sa maîtresse[38]. La thèse de la vengeance pour l'infidélité de son mari est aussi d'actualité[19]. Elle s'est moquée de l'incompétence de la police qui n'a pas pensé à interroger sa fille Rosalind que sa mère avait mise dans le secret pour ne pas l'inquiéter. On a aussi pensé que cette disparition était destinée à promouvoir le livre qu'elle venait de publier. Les ventes du livre ont effectivement fortement augmenté[39].

Cette disparition d'Agatha Christie a inspiré des œuvres de fiction. Un manuscrit qu'elle aurait écrit pendant cette période est au centre d'une enquête du héros de bande dessinée Ric HochetLe Secret d'Agatha[40]. Dans Agatha Christie mène l'enquête, un épisode de la série de science-fiction britannique Doctor Who, le Docteur et Donna Noble rencontrent l'écrivain peu avant sa disparition, expliquée par un phénomène extraterrestre. Cet épisode a inspiré à Florence de Baudus Le Secret d’Agatha[41], interprétation romancée développant la théorie d’un séjour secret au Touquet. L'intrigue du roman Les Apparences (Gone Girl, 2012) de Gillian Flynn, adapté au cinéma en 2014 sous son titre original Gone Girl par David Fincher, contient de nombreuses ressemblances avec la disparition de la romancière[42]. L'épisode inspire aussi le roman de Brigitte Kernel Agatha Christie, le chapitre disparu paru en 2016. La même année, dans Agatha, es-tu là ?François Rivière et Nicolas Perge imaginent Arthur Conan Doyle enquêter sur la disparition de sa consœur[43]La Mystérieuse Affaire Agatha Christie de Chantal van den Heuvel et Nina Jacqmin raconte cette aventure sous forme de BD [44]. La période de cette disparition est également au cœur de l'intrigue d'un téléfilm britannique de 2018, Agatha and the Truth of Murder (en), diffusé en France en 2021 sous le titre de La reine du crime présente : l'affaire Florence Nightingale, avec Ruth Bradley dans le rôle de la romancière[45],[46].

Max Mallowan et l'amour de l'archéologie

En 1930, lors de sa seconde croisière au Moyen-Orient, elle fait la connaissance de l'archéologue Sir Max Mallowan (1904-1978) sur le site de fouilles d'Ur. Ils sympathisent mais Agatha doit écourter sa visite et retourner en Angleterre en urgence, sa fille Rosalind ayant contracté une pneumonie. Dans la précipitation, elle se fait une entorse à la cheville et Max Mallowan se propose de la raccompagner. De retour en Angleterre, celui-ci décide de ne pas repartir immédiatement au Moyen-Orient, trouvant un poste au British Museum. Les deux amis se revoient régulièrement et lors d'un week-end à Ashfield, Max la demande en mariage. Agatha Christie hésite du fait de leurs nombreuses différences : de religion (il est catholique) et d'âge (elle est de 15 ans son aînée)[47]. Elle finit par accepter et l'épouse discrètement en secondes noces le [48] à l'église Sainte-Colomba d'Édimbourg[32], se méfiant de la presse depuis l'affaire de sa disparition car cette dernière ne manquerait pas d'évoquer le mariage entre une anglicane divorcée et un catholique qui a décidé de se convertir à l'anglicanisme[36].

Pour son voyage de noces, le couple Mallowan se rend à Venise, à Split (Yougoslavie) et enfin en Grèce[47]. À Athènes, Agatha est victime d'une sérieuse intoxication alimentaire, elle se retrouve seule alors que son mari Max doit retourner sur le site d'Ur. Elle ne peut pas le suivre, le directeur des fouilles Leonard Woolley et sa femme Catherine ne voulant pas de sa présence. Des années plus tard, par vengeance, elle s'inspirera de Catherine Woolley pour un personnage de son roman Meurtre en Mésopotamie (1936)[49].

Ruines du palais d'époque du Mitanni, à Tell Brak (Syrie)
Ruines du palais d'époque du Mitanni, à Tell Brak (Syrie)

Par la suite, elle accompagne son mari dans toutes ses campagnes de fouilles archéologiques : tout d'abord en Irak, à Tell Arpachiyah, puis, après l'installation du couple en Syrie en raison d'une situation politique explosive, à Chagar Bazar au printemps 1935 et à Tell Brak au printemps 1936. Se découvrant alors une véritable passion pour l'archéologie, Agatha Christie participe activement aux campagnes de fouilles, nettoyant et restaurant les pièces découvertes. Elle réalise l'inventaire des pièces, les dessine et/ou les prend en photographie. Elle s'occupe aussi du ravitaillement du camp et est considérée comme à l'origine de l'atmosphère de sérénité et de convivialité propre aux campagnes des Mallowan. Au mois de , ils quittent la Syrie[49].

Agatha Christie entreprend d'écrire un ouvrage sur ces campagnes de fouilles, qu'elle publiera au printemps 1941 sous le titre Dis-moi comment tu vis. Ses nombreux voyages au Moyen-Orient lui donneront aussi matière pour le cadre d'intrigues de quelques romans[28], et les mésaventures d'un voyage retour à Londres par l'Orient-Express, à Noël 1931, lui inspireront Le Crime de l'Orient-Express[49].

Sa citation apocryphe « Un archéologue est le meilleur mari qu'une femme puisse avoir : plus elle vieillit, plus il s'intéresse à elle »[50] est en fait la formule d'un chroniqueur londonien, Beverley Nichols, qui l'a attribuée à Agatha Christie pour mieux se moquer d'elle[51].

La « duchesse de la mort »

Les années 1930 ne sont pas seulement une période d'intérêt archéologique pour Agatha Christie, elles représentent aussi sa période la plus prolifique. Elle n'écrit pas moins de dix-sept romans et sept recueils de nouvelles, sans pour autant sacrifier la qualité de ses intrigues, signant quelques-uns de ses plus grands chefs-d’œuvre : Le Crime de l'Orient-Express (1934), A.B.C. contre Poirot (1935), Mort sur le Nil (1937), Dix Petits Nègres (1939)[49]... C'est aussi dans cette période que la romancière crée de nouveaux personnages : Miss Marple dans L'Affaire Protheroe (1930), Harley Quinn dans Le Mystérieux Mr Quinn (1930), Ariadne Oliver dans L'Officier en retraite (1932) et Parker Pyne dans Mr Parker Pyne (1934).

En 1930, Agatha Christie décide de s'essayer au roman "pur" (non policier) et écrit Musique barbare[49]. Dans le but de rester anonyme, de ne pas subir de pression critique ou d'éviter que cette expérience interfère avec ses œuvres "officielles", elle décide de signer son livre sous le pseudonyme de Mary Westmacott[47]. Elle réécrira cinq autres romans de genre différents sous ce pseudonyme[47]. Fin 1946, un critique américain révèle qui se cache derrière le pseudonyme, Agatha est déçue de ne plus pouvoir écrire sans subir la pression d'être Agatha Christie[52].

Elle participe à la création en 1930 du Detection Club, association rassemblant tous les plus grands auteurs britanniques de romans policiers. Elle co-écrit le roman L'Amiral flottant sur la rivière Whyn en 1931, et travaille sur le scénario de deux feuilletons télévisés The Scoop et Behind the Screen[49].

Elle retrouve le théâtre en 1937 avec sa seconde pièce Akhénaton, traitant du pharaon éponyme. Passionnée d'Égypte, avant l'écriture, elle se documente beaucoup sur le sujet avec l'aide de l'égyptologue Stephen Glanville. La pièce ne fut jamais jouée de son vivant, étant trop chère à produire selon John Gielgud, et fut donc publiée en livre en 1973. Ce n'est qu'en 1979 que la pièce sera montée à New York. Cependant, sa nouvelle Philomel Cottage est adaptée au théâtre par Frank Vosper sous le titre Love from a Stranger. La première a lieu le  au New Theatre de Londres suivi de 149 représentations, la pièce est jouée aussi à New York[49].

La maison Greenway en 2010
La maison Greenway en 2010

En 1938, Agatha Christie décide de tourner la page du passé : elle vend sa résidence d'Ashfield et acquiert avec son mari le Greenway Estate dans le Devon, s'en servant de résidence d'été. Les descendants d'Agatha Christie en feront don en 2000 à la National Trust[51] qui l'ouvre au public qui peut ainsi pénétrer dans l'intimité de la « duchesse de la mort »[53]. Le couple Mallowan entreprend de grands travaux dans leur nouvelle résidence, mais est stoppé net par des ennuis financiers et par la Seconde Guerre mondiale[47].

La Seconde Guerre mondiale

Le , l'Angleterre déclare la guerre à l'Allemagne nazie. Max Mallowan, 35 ans, s'engage dans la défense civile de Brixham, ne pouvant prétendre à plus sans formation militaire, de plus son père est autrichien[47]. Agatha Christie voulant se rendre utile, met ses compétences pharmaceutiques à disposition de l'hôpital de Torquay. En 1940, Max Mallowan est engagé à Londres comme secrétaire du professeur Garstang, ami et directeur de l'École britannique d'archéologie d'Ankara. Après avoir loué le Greenway Estate à une certaine Mrs Arbuthnot, Christie rejoint son mari dans la capitale. Les raids aériens allemands les obligent à changer plusieurs fois de logement. Ils finissent par s'installer dans un appartement de Lawn Road après que leur maison de Sheffield Terrace a été bombardée. En , Max est admis dans le service de Stephen Glanville au Ministère de l'Air. Sa connaissance de la langue arabe lui permet d'être envoyé au Caire comme Commandant[54].

Alors qu'elle vit désormais seule dans son appartement londonien, Christie travaille comme préparatrice dans la pharmacie du University College Hospital où elle parfait sa connaissance des poisons, éléments importants dans ses romans[55]. Cependant, ne supportant pas d'être éloignée de son mari, elle cherche par tous les moyens à le rejoindre : elle essaye par exemple de devenir correspondante de guerre pour la presse, ce à quoi l'Armée s'oppose. Elle participe aussi à un projet de théâtre pour les armées, mais cela s'avère inutile puisque Max revient de la guerre en . Après la démobilisation de celui-ci, le couple retourne s'installer dans leur maison de Greenway. La fin de la guerre marque aussi la fin des ennuis financiers pour Christie : elle reçoit enfin les gains de ses droits d'auteurs aux États-Unis, bloqués au début de la guerre par le fisc américain[54].

Plusieurs autres événements importants ont lieu dans la vie d'Agatha Christie lors du conflit. En 1940, à Denbigh, elle assiste au mariage de sa fille Rosalind avec le fusilier gallois Hubert Pritchard. Le , Rosalind donne naissance à un petit garçon, Matthew, dans une clinique du Cheshire. Malheureusement, le dernier évènement est plus tragique : Hubert est « tombé au champ d'honneur »[54].

La Seconde Guerre mondiale a eu une influence sur le travail littéraire d'Agatha Christie, sans en toucher la qualité. Premièrement, au début de la guerre, Christie avait été approchée pour « s'occuper d'un travail de propagande » mais elle avait refusé, de peur de ne pas être à la hauteur. Pourtant, elle écrit le roman N. ou M. ? dans lequel elle dénonce la cinquième colonne et les partisans du régime hitlérien. Le magazine Collier's refuse même de publier l'histoire, trop partisane à son goût. Deuxièmement, avant le conflit, ses romans mettaient essentiellement en scène le personnage d'Hercule Poirot. Après 1939, elle ressort des enquêteurs qu'elle avait délaissés comme Tommy et Tuppence Beresford, le Superintendant Battle ou encore Miss Marple pour laquelle elle écrit deux nouveaux romans. Elle écrit aussi des histoires dans lesquelles aucun de ses limiers n'apparait. Enfin, elle a un regain d'intérêt pour le théâtre, adaptant plusieurs de ses romans en pièces : Dix Petits Nègres (1943), Mort sur le Nil (1944) et Rendez-vous avec la mort (1945)[54].

Durant la Seconde Guerre mondiale, Agatha Christie écrit deux œuvres fondamentales : Hercule Poirot quitte la scène et La Dernière Énigme, mettant en scène la fin de ses deux grands détectives Hercule Poirot et Miss Marple. Elle écrit ces deux livres pour assurer des revenus à sa famille et pour éviter que d'autres écrivains créent une suite à ses personnages, dans le cas où elle ne survivrait pas au conflit. Le roman du détective belge est publié en 1975, un an avant le décès de sa créatrice, et celui de la vieille Anglaise en 1976, à titre posthume[47].

Les dernières aventures

Après la guerre, le papier étant à nouveau disponible, les ventes de livres reprennent. Le cinéma, le théâtre et la télévision s'intéressent aux œuvres de la romancière. Mais, fin 1947, Max est nommé responsable de la chaire d'archéologie sur l'Asie Mineure à l'Université de Londres et doit diriger une nouvelle expédition. De 1953 à 1958, le couple mène des fouilles à Nimrud (Irak), et Agatha Christie, proche de la soixantaine, y participe tout en continuant à écrire. À partir de 1951, ils font de grandes découvertes, mais en 1958 ils doivent quitter le pays à cause de la révolution après l'assassinat du roi d'Irak Fayçal II[47].

Sur un plan plus privé, en 1949, sa fille Rosalind se remarie avec Anthony Hicks. Mais la mort de sa sœur Marge en 1951, puis celles de son premier mari Archibald Christie en  et de son neveu Jack, viennent apporter une ombre au tableau. Elle assistera à nouveau à un événement heureux en 1967 lors du mariage de son petit-fils Mathew, diplômé du New College, avec Angela Mapes[47].

Dans les années 1950, le théâtre prend une place importante dans le travail d'Agatha Christie. En , sa pièce de théâtre La Souricière (The Mouse Trap) est présentée pour la première fois à Londres et rencontre un succès grandissant. Le , elle participe à la 1998e représentation, ce qui en fait la pièce la plus longtemps jouée du théâtre britannique. Sa pièce Témoin à charge rencontre elle aussi un succès mondial : elle est donnée en  à Londres, en  à New York et en  à Paris. Devant le succès de la pièce, une adaptation cinématographique est prévue, et en 1957 sort Témoin à charge de Billy Wilder, qui sera nommé six fois aux Oscars. Sa troisième pièce à rencontrer le succès est La Toile d'araignée, qui débute en  et sera représentée 774 fois[56]. En 1954, Agatha Christie devient alors la première femme à avoir trois pièces de théâtre en production simultanément dans le West End de Londres[57].

Pierre tombale d'Agatha Christie et Max Mallowan à Cholsey
Pierre tombale d'Agatha Christie et Max Mallowan à Cholsey

En 1953, ses anciens livres sont réédités. À partir de 1954, elle écrit à peu près un livre par an pour respecter le slogan de son éditeur : « A Christie for Christmas » (« Un Christie pour Noël »). En 1956, sort son dernier roman sous le pseudonyme de Mary Westmacott, Le Poids de l'amour (The Burden). Elle n'a plus besoin de garder un rythme de production élevé, et elle avoue préférer passer son temps libre à flâner dans les expositions, assister à des concerts et opéras, voire simplement à jardiner[56].

En 1955, elle fonde l’Agatha Christie Limited (ACL), société propriétaire de ses droits d'auteur détenue aujourd'hui à 36 % par sa famille et à 64 % par le groupe Chorion, et qui reçoit plus de 300 demandes de licences par an[26], puis par Acorn Media Group.

En 1974, elle assiste à l'avant-première du film Le Crime de l'Orient-Express de Sidney Lumet en présence de la Reine du Royaume-Uni Élisabeth II. Elle est contente de l'adaptation, excepté pour la moustache de Poirot, trop banale. C'est sa dernière apparition en public[52].

Agatha Christie meurt le  dans sa résidence de Wallingford, près d'Oxford. Elle suit de peu ses personnages fétiches, car :

Elle est enterrée au cimetière de Cholsey. Sur sa tombe est gravée une épitaphe extraite d'un verset de La Reine des fées écrit par Edmund Spenser, choisie par ses soins[47],[58] :

Sleepe after toyle, port after stormie seas,
Ease after war, death after life, does greatly please.
Temps de repos après tant de labeur,
Havre de paix après les jours de tempête,
Trêve bénie succédant à la guerre,
La mort est douce après notre vie si âpre.[59]

Honneurs et postérité

En 1955, elle est la première récipiendaire du prix Grand Master Award et du prix Grand maître, prix le plus prestigieux décerné par l'Association des Mystery Writers of America pour sa pièce Témoin à charge (Witness for the Prosecution).

Elle est élue présidente du Detection Club en 1957, succédant à Dorothy L. Sayers.

En 1956, Agatha Christie est élevée au rang de Commandeur de l'ordre de l'Empire britannique (CBE)[56], et en 1971, elle reçoit la distinction de Dame commandeur de l'ordre de l'Empire britannique (DBE) des mains de la reine Élisabeth II. Agatha Christie est devenue ce jour-là Lady Agatha Christie[51].

En 1979, sort Agatha, un film de Michael Apted, inspiré de la vie d'Agatha Christie, et plus particulièrement de l'épisode de sa disparition mystérieuse en décembre 1926. Dans ce film, c'est Vanessa Redgrave qui interprète le rôle d'Agatha Christie.

Le manoir géorgien de Torre Abbey abritait une collection de manuscrits originaux d'Agatha Christie, exposant son fauteuil ainsi que sa machine à écrire Remington de 1937[14]. Cette collection a été transférée dans sa résidence de Greenway en 2008[60].

En 2014 paraît Agatha, la vraie vie d'Agatha Christiebande dessinée biographique scénarisée par Anne Martinetti & Guillaume Lebeau et dessinée par Alexandre Franc[61].

Œuvre

Présentation

Agatha Christie est l'un des écrivains les plus connus au monde si l'on considère le nombre de langues dans lesquelles son œuvre a été traduite (plus de 7 233 traductions, ce qui en fait l'auteur le plus traduit en langues étrangères selon l'Index Translationum[62]), et l'importance des tirages de ses romans qui en fait la romancière la plus vendue au monde selon le Livre Guinness des records[63]. Bien que ce type d'estimation soit toujours délicat (de 2,5 à 4 milliards de livres vendus dans le monde[64], sachant qu'il s'en achète encore 4 millions par an[26]), Agatha Christie est considérée comme l'auteur le plus lu de l'histoire chez les Anglo-Saxons après William Shakespeare, seule la Bible dépasse son œuvre en nombre d'exemplaires vendus[36].

Agatha Christie a écrit 67 romans (dont 6 romances sous le pseudonyme de Mary Westmacott qui correspond à ses écrits les plus personnels), 190 nouvelles réunies en une quinzaine de recueils, 18 pièces de théâtre (+ 5 adaptations par d'autres auteurs), quelques poèmes et une autobiographie[26] : auteur prolifique, elle écrit ses romans en six semaines en moyenne mais, de 1954 jusqu'à 1976, n'en publie que deux ou trois par an[19] dont un traditionnellement pour les fêtes de fin d'année, événement littéraire à l'origine du slogan de son éditeur : « a Christie for Christmas » (un Christie pour Noël)[65].

Une grande partie d'entre eux se déroule à huis clos, ce qui permet au lecteur d'essayer de deviner le coupable avant la fin du récit. Agatha Christie est un auteur important dans le domaine du roman policier, autant sur le plan commercial qu'en raison des innovations qu'elle a introduites dans ce genre (violant les règles du Décalogue de Knox) bien que le dictionnaire de la littérature anglaise, The Oxford Companion to English Literature écrive que « son style est quelconque et ses personnages légers »[26]. N'hésitant pas à s'écarter des sentiers battus, elle donnait notamment à son lecteur un nombre d'indices suffisant pour résoudre l'énigme. Un de ses premiers romansLe Meurtre de Roger Ackroyd, est célèbre pour la façon dont elle utilise le narrateur pour créer la surprise finale. Avec plus de 100 millions d'exemplaires, son roman Dix Petits Nègres, publié en 1939, est, dans la liste des ouvrages les plus vendus au monde, le premier roman policier et le septième livre tous genres confondus[66].

L'universitaire Annie Combes analyse la construction des récits christiens selon quatre axes : la littérature du crime, la fabrique du récit, les répliques et les machines de l'écriture (avec des procédés d'écriture qui rapprochent Agatha Christie d'un Raymond Roussel ou d'un Georges Perec et une capacité à construire des intrigues ingénieuses)[67]. De même l'universitaire et psychanalyste Pierre Bayard a soumis un célèbre roman d'Agatha Christie à une analyse logique rigoureuse démontrant qu'Hercule Poirot est faillible et que la solution de l'énigme pourrait bien ne pas être celle que l'on croit[68].

Le monde d'Agatha Christie est en partie imprégné de la xénophobie et du racisme courants à son époque, de nombreux personnages christiens étant traités de juifs ou d'étrangers avec un certain mépris. La romancière s'en défend en expliquant que ces personnages reflètent la mentalité des Anglais de l'entre-deux-guerres, mais Agatha Christie véhicule ses propres conceptions correspondant à son milieu culturel bourgeois et colonialiste[69],[70].

Profondément influencée par les personnages phares d'Arthur Conan Doyle, Agatha Christie crée le tandem Hercule Poirot et le capitaine Hastings qui est un hommage assumé à l'association Sherlock Holmes et docteur Watson, le prénom du capitaine Hastings, Arthur, étant choisi en l'honneur de celui de Conan Doyle[71].

Une grande partie de ses romans et nouvelles a été adaptée au cinéma ou à la télévision (20 films et plus de 100 téléfilms)[26], en particulier Le Crime de l'Orient-ExpressDix Petits NègresMort sur le Nil et Le Train de 16 h 50. La BBC a aussi produit des téléfilms et des émissions radiophoniques de la plupart des histoires qui mettent en scène Hercule Poirot et Miss Marple. L'une de ses pièces de théâtre, The Mouse Trap (La Souricière), a été présentée pour la première fois à Londres en 1952 au St Martin's Theatre (en), et détient, depuis, le record de la pièce jouée le plus longtemps sans interruption.

Certains de ses romans sont adaptés en bande dessinée par les éditions Claude Lefrancq et Emmanuel Proust (Mort sur le Nil et Le Crime de l'Orient-Express de Jean-François MiniacDix Petits NègresLe Meurtre de Roger Ackroyd, etc.). Ses intrigues et la façon dont elle construit ses énigmes policières sont aussi très prisées en murder party (jeux de rôle policiers).

En , deux nouvelles inédites mettant en scène Hercule Poirot ont été retrouvées dans la maison de famille de Greenway[72] ; elles ont été publiés en 2009[73] sous la responsabilité de John Curran et sous le titre de Agatha Christie's Secret Notebooks: Fifty years of mysteries in the making[74], et, en 2011, pour la traduction française, Les Carnets secrets d'Agatha Christie : Cinquante Ans de mystères en cours d'élaboration[75].

Personnages

Agatha Christie a mis en scène de nombreux personnages récurrents. Certains d'entre eux se rencontrent lors d'aventures communes.

Romans et recueils de nouvelles

Agatha Christie, en collection Le Masque.
Agatha Christie, en collection Le Masque.

Hercule Poirot apparaît dans trente-trois romans et cinquante-deux nouvelles[26]. Il est l'emblème du village d'Ellezelles en Belgique où figure sa statue.

Tommy et Tuppence Beresford apparaissent dans quatre romans et quinze nouvelles.

Le Superintendant Battle apparaît dans quatre romans.

Miss Marple apparaît dans douze romans et vingt nouvelles[26].

Titre françaisTypeHéros principalAnnéeTitre britannique
La Mystérieuse Affaire de StylesromanHercule Poirot1920The Mysterious Affair at Styles
Mr BrownromanTommy et Tuppence Beresford1922The Secret Adversary
Le Crime du golfromanHercule Poirot1923Murder on the Links
Les Enquêtes d'Hercule Poirotrecueil de nouvellesHercule Poirot1924Poirot Investigates
L'Homme au complet marronroman1924The Man in the Brown Suit
Le Secret de ChimneysromanSuperintendant Battle1925The Secret of Chimneys
Le Meurtre de Roger AckroydromanHercule Poirot1926The Murder of Roger Ackroyd
Les QuatreromanHercule Poirot1927The Big Four
Le Train bleuromanHercule Poirot1928The Mystery of the Blue Train
Les Sept CadransromanSuperintendant Battle1929The Seven Dials Mystery
Associés contre le crime et Le crime est notre affairerecueils de nouvellesTommy et Tuppence Beresford1929Partners in crime
L'Affaire ProtheroeromanMiss Marple1930The Murder at the Vicarage
Le Mystérieux Mr Quinn et Mr Quinn en voyagerecueils de nouvelles1930The Mysterious Mr Quin
Cinq Heures vingt-cinqroman1931The Sittaford Mystery
La Maison du périlromanHercule Poirot1932Peril at End House
Miss Marple au Club du Mardi et Le Club du Mardi continuerecueil de nouvellesMiss Marple1932The Thirteen Problems
Le Couteau sur la nuqueromanHercule Poirot1933Lord Edgware Dies
Le Crime de l'Orient-ExpressromanHercule Poirot1934Murder on the Orient Express
Pourquoi pas Evans ?roman1934Why Didn't They Ask Evans ?
Le Mystère de Listerdalerecueil de nouvelles1934The Listerdale Mystery and Other Stories
Mr Parker Pynerecueil de nouvelles1934Parker Pyne Investigates
Drame en trois actesromanHercule Poirot1935Three Act Tragedy
La Mort dans les nuagesromanHercule Poirot1935Death in the Clouds
A.B.C. contre PoirotromanHercule Poirot1936The A.B.C. Murders
Cartes sur tableromanHercule Poirot1936Cards on the Table
Meurtre en MésopotamieromanHercule Poirot1936Murder in Mesopotamia
Mort sur le NilromanHercule Poirot1937Death on the Nile
Témoin muetromanHercule Poirot1937Dumb Witness
Le Miroir du mort et Poirot résout trois énigmesrecueil de nouvellesHercule Poirot1937Murder in the Mews
Rendez-vous avec la mortromanHercule Poirot1938Appointment with Death
Le Noël d'Hercule PoirotromanHercule Poirot1938Hercule Poirot's Christmas
Un meurtre est-il facile ?romanSuperintendant Battle1939Murder is Easy
Dix Petits Nègresroman1939Ten Little Niggers (GB) ou (And Then There were none) (US)
Je ne suis pas coupableromanHercule Poirot1940Sad Cypress
Un, deux, trois...romanHercule Poirot1940One, Two, Buckle My Shoe
Les Vacances d'Hercule PoirotromanHercule Poirot1941Evil Under the Sun
N. ou M. ?romanTommy et Tuppence Beresford1941N or M ?
Cinq Petits CochonsromanHercule Poirot1942Five Little Pigs
Un cadavre dans la bibliothèqueromanMiss Marple1942The Body in the Library
La Plume empoisonnéeromanMiss Marple1942The Moving Finger
L'Heure zéroromanSuperintendant Battle1944Towards Zero
La mort n'est pas une finroman1945Death Comes as the End
Meurtre au champagneroman1945Sparkling Cyanide
Le VallonromanHercule Poirot1946The Hollow
Les Travaux d'Hercule

et Les Écuries d'Augias

recueils de nouvellesHercule Poirot1947The Labours of Hercules
Le Flux et le RefluxromanHercule Poirot1948Taken at the Flood
La Maison biscornueroman1949Crooked House
Un meurtre sera commis le...romanMiss Marple1950A Murder is Announced
Rendez-vous à Bagdadroman1951They Came to Baghdad
Mrs Mac Ginty est morteromanHercule Poirot1952Mrs McGinty's Dead
Jeux de glacesromanMiss Marple1952They Do It With Mirrors
Les Indiscrétions d'Hercule PoirotromanHercule Poirot1953After the Funeral
Une poignée de seigleromanMiss Marple1953A Pocket Full of Rye
Destination inconnueroman1954Destination Unknown
Pension VanilosromanHercule Poirot1955Hickory Dickory Dock
Poirot joue le jeuromanHercule Poirot1956Dead Man's Folly
Le Train de 16 h 50romanMiss Marple19574:50 from Paddington
Témoin indésirableroman1958Ordeal by Innocence
Le Chat et les PigeonsromanHercule Poirot1959Cat Among the Pigeons
Le Cheval pâleroman1961The Pale Horse
Christmas Pudding et Le Retour d'Hercule Poirotrecueil de nouvellesHercule Poirot1962The Adventure of the Christmas Pudding and a selection of Entrées
Le miroir se brisaromanMiss Marple1962The Mirror Crack'd from Side to Side
Les PendulesromanHercule Poirot1963The Clocks
Le major parlait tropromanMiss Marple1964A Caribbean Mystery
À l'hôtel BertramromanMiss Marple1965At Bertram's Hotel
La Troisième FilleromanHercule Poirot1966Third Girl
La Nuit qui ne finit pasroman1967Endless Night
Mon petit doigt m'a ditromanTommy et Tuppence Beresford1968By the Pricking of My Thumbs
La Fête du potironromanHercule Poirot1969Hallowe'en Party
Témoin à chargerecueil de nouvelles1969Witness for the Prosecution and other stories
Passager pour Francfortroman1970Passenger to Frankfurt: An Extravaganza
NémésisromanMiss Marple1971Nemesis
Allô, Hercule Poirotrecueil de nouvellesHercule Poirot1972
Une mémoire d'éléphantromanHercule Poirot1972Elephants Can Remember
Le Cheval à basculeromanTommy et Tuppence Beresford1973Postern of Fate
Le Bal de la victoirerecueil de nouvellesHercule Poirot1974Poirot's Early Cases
Hercule Poirot quitte la scèneromanHercule Poirot1975Curtain: Poirot's Last Case
La Dernière ÉnigmeromanMiss Marple1976Sleeping Murder: Miss Marple's Last Case

Livres publiés après la mort de la romancière

Titre FrançaisTypeAnnéeTitre original
Miss Marple tire sa révérencerecueil de nouvelles1979Miss Marple’s Final Cases
Le Flambeaurecueil de nouvelles1981The Hound of Death and other stories
Dix Brèves Rencontresrecueil de nouvelles1982The Agatha Christie Hour
Trois Souris...recueil de nouvelles1985Three Blind Mice and Other Stories
Marple, Poirot, Pyne... et les autresrecueil de nouvelles1986
Tant que brillera le jourrecueil de nouvelles1997While the Light Lasts and Other Stories

Pièces de théâtre

Seulement les pièces de théâtres originales (les adaptations des romans en pièces, dont celles faites par Agatha Christie elle-même, sont listées plus bas) :

Autres œuvres

Mary Westmacott

Romans non policiers publiés sous le pseudonyme de Mary Westmacott :

Roman coécrit

Autobiographies

  • Dis-moi comment tu vis (Come, Tell Me How You Live1946)
    Réédité sous le titre La Romancière et l'Archéologue : mes aventures au Moyen-Orient (Come, Tell Me How You Live: An Archaeological Memoir).
  • Une autobiographie (An Autobiography1977)
    Publié à titre posthume.

Recueils de poèmes

Autre

Adaptations de son œuvre

Au théâtre

Au cinéma

À la télévision

Téléfilms

Séries télévisées

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Voyager dans un fauteuil? Les lieux d’Agatha Christie

Damien Bruneau a

Collège Anna de Noailles (Oise)

Résumés  
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Selon Francis Lacassin, «le roman policier est avant tout un roman de ville». Par définition (polis et politeia signifiant respectivement «cité» et «gouvernance de la cité»), ce genre littéraire renvoie à l’élucidation, pleine de suspense, d’un crime dans un milieu urbain. La plupart des maîtres du genre, comme Edgar Allan Poe (1809-1849) ou Maurice Leblanc (1864-1941), semblent répondre à ce schéma. Toutefois, la représentation classique que l’on peut avoir d’un roman d’Agatha Christie (1890-1976), «la reine du crime» (Fieux, 2007), apparaît éloignée de ce modèle. Il s’agit fréquemment d’un huis clos dans une maison de campagne anglaise où un détective enquête sur un meurtre (souvent depuis son fauteuil) et démasque subitement, dans les derniers chapitres, le coupable parmi les membres d’une famille élargie aisée. Cet art du huis clos est porté à son summum dans la pièce de théâtre la plus célèbre et la plus jouée (sans interruption depuis 1952) d’Agatha Christie: La Souricière.

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Dans les 66 romans (nous écartons de notre étude les nouvelles et les pièces) écrits par Agatha Christie sous ce nom, Brigitte Aufort distingue 59 romans à énigme et 7 romans d’aventure ou d’espionnage à fort contexte géopolitique (L’Homme au complet marron, 1924; Pourquoi pas Evans? 1934; Rendez-vous à Bagdad, 1951; Destination inconnue, 1954; Le Cheval pâle, 1961; La nuit qui ne finit pas, 1967; Passager pour Francfort, 1970). Pour les confronter à la tradition urbaine du roman policier, ces 66 romans ont été ordonnés dans le tableau 1 selon la date de parution, le personnage principal, le lieu d’action, les régions concernées et une dominante (ville, campagne, banlieue, île, désert, bord de mer ou fleuve). Ils sont aussi distingués en fonction des lieux d’action imaginaires (en italique), non localisés (en gras) ou hors d’Angleterre (occurrence soulignée).

«Son décor préféré reste […] l’Angleterre» (Fieux, 2007). La figure 1 — où les romans sont situés dans les frontières actuelles des pays — confirme cet aspect. En effet, sur les 66 romans publiés de 1920 à 1976, 55 voient leur action se dérouler au Royaume-Uni et plus précisément en Angleterre, soit plus de 83% de l’ensemble. Cette prépondérance fait que cette étude porte essentiellement sur les romans «anglais» d’Agatha Christie. Dès lors, en quoi ces romans et leur géographie sont-ils le reflet d’une tradition littéraire bien ancrée (le roman policier) et témoignent-ils de l’évolution de l’Angleterre?

1. Les pays où se situe l’action des romans d’Agatha Christie

Tout d’abord, nous tenterons de montrer comment la romancière a su concilier la mobilité variable de ses héros et l’isolement du huis clos, autrement dit comment elle nous fait voyager dans un fauteuil. Ensuite, il s’agira de voir, à plus grande échelle en quoi nombre de ses romans renvoient à une certaine Angleterre mais aussi à un «espace-décor» (Ravenel, 1992) référentiel: la maison de campagne.

La conformité à une tradition urbaine «holmésienne»?

«L’anonymat de la foule, les grands artères favorables aux poursuites, les entrepôts où toutes les cachettes sont possibles, les ruelles étroites et faiblement éclairées où le crime semble rôder en font la compagne éternelle du détective» (Lacassin, 1974). Ce détective des rues correspond largement aux aventures, par exemple, d’un Sherlock Holmes, héros d’Arthur Conan Doyle (1859-1930). Fortement marquée, surtout à ses débuts, par ce modèle holmésien, Agatha Christie fait se déployer l’action d’une vingtaine de ses romans «anglais» en ville ou en banlieue (tableau 1), avec une très forte polarisation sur Londres (15 romans, tableau 2), comme pour le locataire du 221 B Baker Street. D’ailleurs, un roman entier de la romancière (À l’hôtel Bertram, 1965) se déroule dans un célèbre hôtel londonien de West End (le quartier holmésien selon Loïc Ravenel) et ce lieu, vestige du passé ayant échappé aux bombardements du blitz, est le personnage principal du roman. L’ambiance y est restée feutrée et s’y constitue un huis clos à la manière d’Agatha Christie.

Mais alors que l’essentiel (les deux-tiers) des aventures de Sherlock Holmes se déroule au moins en partie à Londres, les 55 romans «anglais» d’Agatha Christie se partagent de façon très équitable entre la ville et la campagne (une vingtaine chacun); une dizaine de romans ont un déroulement géographique assez flou (périphérie plus ou moins lointaine de Londres). Cette répartition reflète les évolutions qu’a connues l’Angleterre dans les premières décennies du XXe siècle. En effet, si, à la fin du XIXe siècle, l’Angleterre urbaine «a vaincu matériellement sur le plan du nombre», l’Angleterre verte «a pris sa revanche spirituelle en triomphant dans les cœurs» (Bedarida, 1990). On peut d’ailleurs répertorier (tableau 2) et cartographier (fig. 2) les lieux d’action des romans pour bien observer la géographie anglaise des lieux christiens. Il a fallu tenir compte des nombreux lieux fictifs. Par exemple, le village imaginaire de Miss Marple, Saint Mary Mead (3 romans), se situerait dans le Berkshire et d’autres villages fictifs de province qu’on peut trouver dans Un meurtre est-il facile? (1939) ou Un meurtre sera commis le… (1950) en sont très proches dans leur description. Par conséquent, «la plupart de ses romans se passent […] à Londres, dans un petit village de province ou dans une station balnéaire, avec une préférence très marquée pour la région du Devon» (Fieux, 2007), établissant, de fait, un véritable «fond permanent au récit» (Ravenel, 2007). Sur les 55 romans «anglais», 24 se déroulent ainsi dans la région urbaine de Londres (dont 15 dans Londres même), 6 dans le Devon (qu’Agatha Christie connaît très bien), 6 dans le Berkshire, 4 enfin se situent sur une côte touristique anglaise sans plus de précisions.

2. Les régions où se situe l’action des romans d’Agatha Christie
3. Localisation des romans avec Hercule Poirot

La géographie des romans d’Agatha Christie tient aussi aux caractéristiques des héros. Car, là où Arthur Conan Doyle se consacre presque entièrement à Sherlock Holmes, la romancière fait d’Hercule Poirot le héros de 33 de ses romans (plutôt écrits avant 1945) mais aussi de Miss Marple pour 12 autres (plutôt écrits après 1945) et du couple Beresford enfin pour 4 de ses récits. Un des personnages marquants d’Agatha Christie est donc Miss Marple. Sur 12 romans, cette demoiselle âgée ne séjourne qu’une seule fois à Londres (À l’hôtel Bertram, 1965) et ne quitte qu’à une seule occasion le sol anglais pour un séjour aux Antilles (Le major parlait trop, 1964). Elle réside beaucoup plus souvent dans son village de Saint Mary Mead, ses lieux de prédilection étant les presbytères. Miss Marple servait de personnage alternatif à Agatha Christie, souvent lassée de son héros principal, Hercule Poirot. Au premier abord, celui-ci fait fortement penser au héros de Doyle. Ainsi, «encore sous l’influence de ses lectures, elle opte pour une sorte de compromis entre Rouletabille et Sherlock Holmes» (Aufort, 2005), la ressemblance étant frappante dans la première apparition d’un Poirot chasseur d’indices (La Mystérieuse Affaire de Styles, 1920). Restant à Londres dans de nombreux romans (11 sur 33), Hercule Poirot parcourt aussi l’Angleterre (fig. 3). En revanche, là où Sherlock Holmes habite une rue et un quartier précis dans Londres pour ensuite parcourir l’Angleterre, Hercule Poirot, détective belge extérieur à la société anglaise (Fieux, 2007), n’a pas d’adresse précise et voit ses aventures à maintes reprises devenir des huis clos. Poirot qui voyage aussi sur le continent européen dans 6 romans (soit plus de la moitié des 11 romans non «anglais» de la romancière) s’étonne pourtant auprès de son acolyte Hastings dans Le Couteau sur la nuque (1933): «Ne comprendrez-vous donc jamais qu’installé dans un fauteuil et les yeux fermés je découvre plus aisément la solution d’un problème?». Agatha Christie se dégage ainsi du modèle holmésien dès la seconde aventure du détective belge (Le Crime du golf, 1923) où celui-ci mène plus fréquemment la réflexion depuis son fauteuil. De plus, à la fin de ce roman, la romancière évacue, pour un temps, Hastings (équivalent christien de Watson); ce faire-valoir part en Argentine. «Le grand détective ne bouge donc pas beaucoup – même s’il voyage parfois […,]  c’est l’univers familier tout entier, fauteuil compris, qui se déplace [dans un travail de] pure réflexion» (Eisenzweig, 1986).

De fait, loin de souscrire entièrement à la tradition urbaine du roman policier, Agatha Christie tente de rendre palpitante une enquête à l’ampleur parfois régionale (dans Une mémoire d’éléphant, 1972, par exemple) mais qui trouve régulièrement sa conclusion depuis un fauteuil dans le cadre d’un huis clos.

Concilier l’isolement et la mobilité

Agatha Christie a un goût affirmé pour les intrigues criminelles dans un espace isolé. Ainsi, dans une vingtaine de romans, nous retrouvons ce cocon sous la forme d’une vaste demeure familiale — un espace quasiment fermé — située dans la campagne anglaise. Comme le souligne Sophie Mijolla-Mellor (1995), «la clôture, inquiétante car elle renferme en son sein un risque mortel, est cependant bénéfique puisqu’elle permet de ne pas le laisser s’échapper. […] La clôture de l’espace [...] va permettre la concaténation entre des personnages que seul, apparemment, le hasard a réunis.» Les romans mettant en scène ces espaces véritablement coupés du monde extérieur sont aussi les plus célèbres d’Agatha Christie. Ils se déroulent dans un train (Le Train Bleu, 1928; Le Crime de l’Orient-Express, 1934), dans un avion (La Mort dans les nuages, 1935), sur une île (Dix Petits Nègres, 1939; Le major parlait trop, 1964), sur un bateau (Mort sur le Nil, 1937) ou bien encore dans un village isolé par une tempête de neige (Cinq heures vingt-cinq, 1931). Les crimes dans cet «espace-décor» servent les besoins romanesques de l’auteur car cela «verrouille l’espace» (Combes, 1989). La réplique lapidaire: «aucun de nous ne quittera cette île» (Dix Petits Nègres, 1939) marque bien l’intention dramatique de clôturer vigoureusement le lieu de l’action. De même, dans les itinéraires parisiens du commissaire Maigret, «les espaces clos sont autant de répliques de la scène du crime» (Meyer-Bolzinger, 2007).

Paradoxalement, les huis clos d’Agatha Christie ne sont pas forcément immobiles. On vient de voir qu’ils se situent parfois dans des moyens de locomotion. Ainsi, «chez Mrs Christie, avions, trains et bateaux ne sont jamais de purs motifs pittoresques destinés à éblouir le lecteur» (Combes, 1989). Les pôles de ces réseaux de transport sont aussi, à leur tour, le cadre temporaire de romans que ce soit les gares ferroviaires (Le Train de 16h50, 1957) et routières (le bus du circuit «demeures et jardins célèbres de Grande-Bretagne», dans Némésis, 1971), les stations de métro (L’Homme au complet marron, 1924) ou bien les aérogares (Passager pour Francfort, 1970). Plus précisément, le train est un moyen de transport présent à maintes reprises dans les enjeux dramatiques (Le Crime du golf, 1923…). Est ainsi citée à de nombreuses reprises la gare londonienne de Paddington qui dessert l’Ouest du pays (notamment le Berkshire et le Devon, cadres répétés des romans, fig. 2). Enfin, ABC contre Poirot (1936) est le récit de la lutte entre le détective et un meurtrier choisissant apparemment ses victimes en fonction de l’ordre alphabétique de villes desservies par un train. D’ailleurs, un guide national des horaires, nommé ABC, est systématiquement laissé sur le lieu du crime. Ce roman (dont une adaptation a été diffusée sur France 2 en janvier 2009) est l’occasion d’une course-poursuite semaines après semaines à l’échelle du pays, même si le Sud et ses stations balnéaires sont privilégiés par l’auteur (fig. 3). Toute l’Angleterre est à portée de train pour le détective basé à Londres car «le chemin de fer élargit les horizons et “relie” les échelles, ouvre le local au monde» (Ollivro, 2000). Malgré tout, Agatha Christie évite d’être dépendante, dans sa narration, de ces transports fonctionnant en réseaux, parfois trop rigides. Ainsi, elle détourne parfois l’organisation habituelle de ces flux pour des besoins romanesques: elle les fait converger puis diverger (le train de 16h50 parallèle à un autre train où se commet un crime…), voire elle les bloque (l’Orient-Express arrêté en pleine voie par une tempête de neige…).

Agatha Christie a vécu elle-même cette dernière mésaventure (elle a «emprunté l’Orient-Express à diverses reprises et pu [...] patienter plusieurs fois lors des arrêts inopinés du train souvent bloqué par des inondations ou par la neige», Aufort, 2005). De fait, ces astuces dramatiques, qui lui permettent de concilier habilement le huis clos et la mobilité, sont bien plus que de simples artifices. Ils nous apprennent beaucoup sur sa façon d’appréhender l’Angleterre de l’époque et sur sa confrontation aux nombreux changements que celle-ci connaît.

La société anglaise de la reine du crime

4. Le port de St Ives, Cornouailles (source: Jeremy Hoare/Life File/Getty Images). L'ancien port de pêche de St Ives est devenu une station balnéaire dès la fin du XIXe siècle avec son rattachement à la Great Western Railway (fig. 5). Une lettre d'une communauté d'artistes (comme dans Cinq petits cochons, 1952) datée de 1898 exprime ces inquiétudes: «Monsieur, nous, soussignés artistes résidant actuellement à St Ives, observons sa croissance avec intérêt et grande appréhension. [...] Nous ne pouvons que penser que cette spécificité menace de disparaître à cause de projets de constructions hâtives et de la suppression irréfléchie de traits caractéristiques. [...] Nous vous supplions aussi d'user de votre pouvoir et de votre influence pour éviter la destruction de sa beauté naturelle et de ses autres intérêts — arbres et blocs de granite — qui donnent à cette région son caractère spécifique.» (GHW/12/3/6/1/99/1, The Mornington collection, Cornwall Record Office) (1)

De fait, cette géographie des lieux isolés, dont la trame narrative semble se dérouler hors de l’Histoire, n’échappe pourtant pas au contexte d’écriture. La première guerre mondiale (La Mystérieuse Affaire de Styles, publiée en 1920 mais écrite dès 1916 alors que l’auteur est infirmière), la seconde (Un, deux, trois, 1940; N ou M? 1941; La Plume empoisonnée, 1942), la question des orphelins et de leur adoption (Mrs Mac Ginty est morte, 1952; Témoin indésirable, 1958) dans une Angleterre ruinée après 1945 (Un meurtre sera commis le…, 1950) ou bien la guerre froide (Destination inconnue, 1954; Le Chat et les pigeons, 1959; Passager pour Francfort, 1970) ont marqué les romans d’Agatha Christie. De même, dans Le Cheval pâle (1961), la romancière nous décrit de façon assez atterrée les mœurs des jeunes Londoniennes des années 1960.

Pour autant, ce n’est pas le contexte historique, plus ou moins présent, qui intéresse Agatha Christie, mais la psychologie des personnages. Ces personnages appartiennent à un milieu social favorisé: «la société bourgeoise anglaise du XIXe ou du XXe siècle, la «middle class» évoqué par Robert Barnard. […] Ce sont des gens aisés qui peuvent, en particulier, s’offrir des séjours à l’étranger: sur la Côte d’Azur (Le Train Bleu, 1928), aux Antilles (Le major parlait trop, 1964) ou en Mésopotamie (Meurtre en Mésopotamie, 1936; Rendez-vous avec la mort, 1938…), un voyage avec le somptueux Orient-Express (Le Crime de l’Orient-Express, 1934) ou une croisière de luxe sur le Nil (Mort sur le Nil, 1937) (Fieux, 2007). L’histoire de ces personnages emprunte ainsi beaucoup à celle de la géographie du tourisme à l’étranger des classes aisées anglaises (auxquelles Agatha Christie appartient), de l’entre-deux-guerres à la fin des Trente Glorieuses. De fait, les romans d’Agatha Christie sont souvent en prise directe avec sa propre vie: elle a ainsi emprunté en 1926 le «Calais-Paris-Nice» (Le Train Bleu, 1928) et a réalisé en 1933 une croisière sur le Nil (Mort sur le Nil, 1937). De plus, les travaux archéologiques de son second mari, rencontré au cours d’une croisière au Moyen-Orient et épousé en 1927, lui ont été très utiles (Meurtre en Mésopotamie, 1936; Rendez-vous avec la mort, 1938; La mort n’est pas une fin, 1945 qui se déroule pendant le Moyen Empire égyptien). Les spécialistes d’Agatha Christie ne sont pas tous d’accord sur l’influence de sa vie sur ses romans. Ainsi, selon Alain Combes, «il serait vain d’y chercher l’image d’une société ou le reflet d’une époque». Malgré tout, il me semble bien que son œuvre reflète une certaine géographie de l’Angleterre du milieu du XXe siècle.

De fait, on peut noter une géographie des romans «anglais» d’Agatha Christie répondant au modèle d’un centre (la capitale londonienne) et de plusieurs périphéries (fig. 2). Cette répartition s’explique:

  • par les activités urbaines d’Hercule Poirot, héros majeur de l’écrivain, concentrées dans la région centrale de Londres. Celle-ci se situe alors dans un phénomène de forte périurbanisation: «La surface bâtie de l’agglomération triple en étendue entre 1919 et 1939» (Bedarida, 1990);
  • pour le Berkshire, par les enquêtes de Miss Marple dans son village isolé de province. En effet, Saint Mary Mead, situé dans une région relativement proche de Londres (moins de 100 km) connaît l’urban sprawl dans les derniers romans d’Agatha Christie, véritable déferlante pour cette campagne intégrée dans l’orbite londonienne comme réservoir d’espace. De fait, l’apparition de nouveaux lotissements (Le miroir se brisa, 1962) intrigue quelque peu Miss Marple;
  • pour les régions touristiques (Devon et stations balnéaires du Sud de l’Angleterre correspondants, tableau 1fig. 4), par la classe — aisée — des personnages de la romancière. Le roman ABC contre Poirot (pourtant très mobile sur tout le pays) se déroule en grande partie dans des stations balnéaires du sud.

Même si cette distribution géographique comporte de nombreux lieux fictifs, ceux-ci sont souvent localisables car fortement inspirés par la vie d’Agatha Christie. Ainsi, Dillmouth (La dernière Énigme, 1976) et Saint Loo (La Maison du péril, 1932; Les Vacances d’Hercule Poirot, 1941) sont directement inspirés de Torquay (où l’auteur est née, fig. 5) et de Dartmouth, deux stations balnéaires du Devon. Par conséquent, elle apprécie fortement ces «petits villages du Sud de l’Angleterre et leurs manoirs car, comme Balzac ou Proust, elle peint une atmosphère qu’elle connaît de l’intérieur.» (Mijolla-Mellor, 1995).

Un «espace-décor»: la maison de campagne

5. Couverture d'un guide touristique sur Torquay et la Riviera anglaise (1939) (source: www.vintageadgallery.com). Ce document illustre les liens entre l’essor du réseau ferré amenant de riches Londoniens depuis la gare de Paddington jusqu'aux côtes du Devon et de Cornouailles, notamment par le «Cornish Riviera Express train». Cela participe au développement du tourisme de stations balnéaires des années 1930. C'est de ce contexte qu’Agatha Christie tire son inspiration.

Enfin, à une échelle plus grande, on trouve dans une majorité des romans d’Agatha Christie un «espace-décor» (Ravenel, 1992) qui sert véritablement la trame narrative comme un lieu central et référentiel pour l’action: la maison de campagne. Celle-ci est une très  imposante demeure (Le Train de 16h50, 1957) qui a parfois un passé proprement dramatique (La Maison biscornue, 1949). «Ce référent, elle l’a construit pour y insérer ses crimes: mélange de souvenirs et de nécessités, il n’est ni vraisemblable, ni réaliste» (Combes, 1989). Quand Hercule Poirot et Miss Marple restent dans leur fauteuil pour réfléchir à la psychologie des victimes et des coupables, les enquêteurs officiels, souvent moqués par le détective belge, cherchent méticuleusement des indices matériels dans et autour du lieu du crime (L’Heure zéro, 1944). Mais cet espace-décor peut même être complété par un espace du crime encore plus restreint, quoique non présent systématiquement dans les 66 romans de la romancière, celui de la chambre de la victime. En effet, chez Agatha Christie, «on est assassiné chez soi et même de préférence dans sa chambre».

Pourtant, une localisation restreinte de l’action ne signifie pas forcément un luxe infini de détails. En effet, «du pays à la demeure et même à la chambre, on reste toujours dans la même imprécision» (Fieux, 2007). Par exemple dans Le Crime de l’Orient-Express (1934), on connaît parfaitement (grâce à un schéma intégré au roman comme dans La Mystérieuse Affaire de Styles en 1920 ou Le Mystère de la chambre jaune de Gaston Leroux en 1908 ou bien encore en 1924 La Comtesse de Cagliostro de Maurice Leblanc, Bussi, 2007) la répartition des cabines mais aucunement leur intérieur ! La victime est souvent chez Agatha Christie un chef de famille autoritaire et âgé. Son bureau ou sa chambre devient de fait une «chambre interdite, où ne viennent que ceux qui en sont priés et où des scènes de disputes familiales éclatent, [c’]est le lieu d’un pouvoir absolu.» (Mijolla-Mellor, 1995). Cette humiliation ne pouvant durer, le crime survient, la «chambre interdite» devient lieu du crime. Dès lors, «l’espace du crime, chez Agatha Christie, est clos par un cercle de suspicion et non, comme on l’imagine souvent, par des murs et des verrous. […] Le huis clos se révèle l’espace des multiples meurtriers éventuels» (Combes, 1989). C’est ainsi que la psychologie des personnages prend le pas chez Agatha Christie sur la fonctionnalité des lieux («un décor qui ne sert qu’à créer une ambiance», Fieux, 2007), en termes de géographie domestique, mais aussi, à plus petite échelle, sur les formes urbaines (loin des courses-poursuites dans le Londres de Sherlock Holmes).

Où qu’elle situe en Angleterre, la maison de campagne sert, le plus souvent, de décor aux huis clos dramatiques d’Agatha Christie, l’isolement de l’extérieur l’emportant sur la description précise de l’intérieur.

Conclusion

Cette géographie des lieux christiens s’intègre, tout d’abord, à la tradition urbaine du roman policier dont Edgar Allan Poe et Arthur Conan Doyle sont les fondateurs. Cependant, Agatha Christie se démarque nettement du modèle holmésien par l’imprécision du paysage (tout comme Maurice Leblanc dans les aventures d’Arsène Lupin, Bussi, 2007), qu’il soit exotique ou non. L’œuvre de la romancière se concentre sur l’Angleterre: Londres, les villages de province et les stations balnéaires sont ainsi les trois lieux d’action principaux des romans d’Agatha Christie. Ce sont des lieux d’action présents non pour leur fonctionnalité propre mais comme des décors reconnaissables facilement par le lecteur. Dès lors, l’utilisation fréquente du huis clos alliée à une relative mobilité des personnages rapproche ces lieux d’action plutôt divers. Ce huis clos, qu’il soit à l’échelle de la maison de campagne isolée ou de la «chambre interdite», est l’espace du crime dans lequel se déploie l’enquête physique et psychologique sur les personnages.

Ainsi, au-delà des multiples péripéties et des (rares) courses-poursuites, l’essentiel de l’investigation pour démasquer le criminel se déroule le plus souvent dans un fauteuil, devant un chocolat chaud pour le belge Hercule Poirot (qui, dans sa dernière aventure — Poirot quitte la scène, 1975 ­— se fait passer pour invalide et mène l’enquête en fauteuil roulant !) ou une tasse de thé à la main pour l’anglaise Miss Marple. De ce fait, les meilleurs romans d’Agatha Christie «se lisent aussi facilement au XXIe siècle que dans les années 1930» (Fieux, 2007).

Remerciements

À ma grand-mère qui m'a fait aimer la lecture et notamment les romans policiers.

Bibliographie

AUFORT B. (2005). Agatha Christie, parcours d’une œuvre. Paris: Les Belles-Lettres, coll. «Références», 239 p. ISBN: 2-251-74127-5

BEDARIDA F. (1990). La Société anglaise du milieu du XIXe siècle à nos jours. Paris:  Seuil, coll. «Points Histoire», 540 p. ISBN: 2-02-012404-1

BUSSI M. (2007). «‘L’étrange voyage!’ La dimension spatiale des aventures d’Arsène Lupin». Géographie et cultures, n° 61 «Le roman policier, lieux et itinéraires».

COMBES A. (1989). Agatha Christie, l’écriture du crime. Paris: Impressions nouvelles, coll. «Réflexions faites», 301 p. ISBN: 2-906131-11-3

EISENZWEIG U. (1986). Le Récit impossible, forme et sens du roman policier. Paris: Christian Bourgois, 357 p. ISBN: 2-267-00443-7

FIEUX A. (2007). Agatha Christie, la reine du crime. Paris: Nouveau monde, 223 p. ISBN: 978-2-84736-234-3

FORT C. (2003). «Détectives et décalogues: pour une éthique de l’enquête?», Études Anglaises56-3, p 285-297.

HOY D. (1981). «Geography and Literature: Unity and Reality». Paper presented at the annual meeting of the national council for geographic education. Pittsburgh:  PA.

LACASSIN F. (1974). Mythologie du roman policier. Paris: Union générale d’édition, 319 p.

MEYER-BOLZINGER D. (2007). «Les itinéraires parisiens du commissaire Maigret»,  Géographie et cultures, n° 61 «Le roman policier, lieux et itinéraires».

MIJOLLA-MELLOR S. (1995). Meurtre familier: approche psychanalytique d'Agatha Christie. Paris: Dunod, coll. «Psychismes», IX-206 p. ISBN: 2-10-002626-7

OLLIVRO J. (2000). L’Homme à toutes vitesses. De la lenteur homogène à la rapidité différenciée. Rennes: Presses universitaires de Rennes, coll. «Espaces et territoires», 179 p. ISBN: 2-86847-477-2

RAVENEL L. (1992). «Les aventures de Sherlock Holmes: organisation et utilisation de l’espace». Mappemonden° 3/92.

RAVENEL L. (2007). «Sherlock Holmes au fil du temps: éléments de climatologie holmésienne». Géographie et cultures, n° 61 «Le roman policier, lieux et itinéraires».

Note

1. «Sir, we the undersigned Artists now residing in St Ives, watch its growth with interest and considerable apprehension. [...] This distinction, we cannot but feel, is in danger of being lost through hastily conceived building schemes, and thoughtless removal of characteristic features. [...] We would also beg you to use your power and influence to prevent the destruction of objects of natural beauty and interest, - trees, and granite boulders - which help to give this country its distinctive character.»


L'immortel succès de «Dix petits nègres», polar pas comme les autres

Publié en 1939, le célèbre roman d'Agatha Christie n'a pas pris une ride. Il est l'un des livres les plus vendus au monde et a donné naissance à des dizaines d'adaptations.

And then there were none, série de la BBC, est l'une des nombreuses adaptations des Dix petits nègres de ces dernières années. | Capture d'écran via YouTube
And then there were none, série de la BBC, est l'une des nombreuses adaptations des Dix petits nègres de ces dernières années. | Capture d'écran via YouTub

Il y a des livres sur lesquels le temps n'a pas d'emprise. Des livres qui continuent de vivre des dizaines d'années après la mort de leur auteur. Dix petits nègres est l'un de ceux-là. Publié en novembre 1939, il y a tout juste quatre-vingts ans, le polar d'Agatha Christie fait partie des livres les plus vendus de tous les temps: plus de 100 millions d'exemplaires se sont écoulés depuis sa sortie. Textes religieux à part, il faut s'appeler Don QuichotteHarry PotterLe Petit Princele Seigneur des anneaux ou encore Le Hobbit pour revendiquer un tel exploit.

L'intrigue la plus célèbre de la reine du crime se déroule en Angleterre. Dix personnes sans lien apparent sont conviées sous différents prétextes sur l'île du Nègre, au large du Devon. Mais à leur arrivée, leur mystérieux hôte est absent. À la place, une voix enregistrée s'élève, accusant chacune d'entre elles d'un crime pour lequel elle aurait échappé à la justice. Isolé·es du continent par une tempête, les invité·es vont alors être assassiné·es tour à tour, suivant une mécanique calquée sur les paroles d'une comptine. La police peine à résoudre l'affaire: le meurtrier est forcément l'un des dix… mais logiquement, aucun n'aurait pu tuer les autres avant de se suicider.

Dix petits nègres aurait pu n'être qu'un roman policier d'Agatha Christie parmi tant d'autres –elle en a écrit plus de quatre-vingts au cours de sa vie. Ça a été le contraire: il représente environ 20% des deux milliards de livres vendus par la Britannique dans le monde.

Le crime techniquement parfait

Quand Agatha Christie s'attelle à l'écriture de Dix petits nègres, en 1938, elle est déjà une écrivaine reconnue. Elle a créé les personnages d'Hercule Poirot et Miss Marple, connu le succès grâce à des polars comme Le Meurtre de Roger Ackroyd (1926) et Le Crime de l'Orient Express (1934). Mais il lui reste quelque chose à accomplir. Elle veut inventer un crime hors du commun, un meurtre de masse presque impossible à résoudre mais dont le dénouement sera crédible. «Dix personnages devaient mourir l'un après l'autre sans que cela paraisse le moins du monde ridicule ni que l'identité du suspect soit trop évidente», résume la romancière dans son Autobiographierééditée en 2002.

«Je pense qu'elle considérait presque ce livre comme un défi, précise James Prichard, arrière-petit-fils de l'écrivaine et PDG d'Agatha Christie limited, la société qui gère les droits littéraires et médiatiques de son œuvre. Pouvait-elle faire fonctionner un tel concept? Comme pour la plupart de ses livres, elle a dû réfléchir un certain temps pour faire les choses bien

«Je crois que les gens sortent traumatisés de la lecture de Dix petits nègres
Pierre Bayard, professeur de littérature et psychanalyste

Agatha Christie puise dans sa mémoire, ébauche des scénarios. «Ce ballet mortifère venait de très loin chez elle, il n'est pas né comme ça par hasard, estime François Rivière, biographe, auteur d'Agatha Christie, Duchesse de la mortElle s'est inspirée de ses souvenirs, comme une île qu'elle connaissait, des comptines, ou une série de figurines en porcelaine dans la maison de sa grand-mère, qui ont marqué la petite fille qu'elle était.»

Et la mécanique qu'elle imagine fonctionne. «Si on n'a jamais lu Dix petits nègres, on a quand même du mal à deviner le rebondissement finalmême en étant un gros lecteur de romans policiers, estime Carla Briner, responsable du département étranger aux Éditions du Masque, qui publient en France les œuvres d'Agatha Christie. Cela reste pour moi la clé du succès: quand les lecteurs n'arrivent pas à élucider une énigme et que la solution est réaliste. On termine le roman en se disant que l'auteur maîtrise son texte.» L'écrivaine elle-même en parlera comme de son œuvre «la mieux imaginée techniquement».

Entre roman policier et épouvante

Si Dix petits nègres a duré dans le temps, c'est aussi parce que son autrice en a fait un objet particulier, à mi-chemin entre roman policier et livre d'épouvante. Les personnages sont assassinés suivant les paroles d'une étrange comptine («Dix petits Nègres s'en furent dîner, l'un d'eux but à s'en étrangler. N'en resta plus que neuf», etc.). Cette mise en scène donne l'impression d'une punition divine venue remplacer une justice humaine défaillante.

«Ça ne ressemble pas du tout à Hercule Poirot ou Miss MarpleIl y a un mystère énorme avec ces personnages qui arrivent l'un après l'autre et ne savent pas pourquoi ils sont là», explique François Rivière. «Je crois que les gens sortent traumatisés de la lecture de Dix petits nègres comme quand ils voient Psychose, de Hitchcock, il y a une dimension d'horreur qu'on ne trouve pas dans les autres romans policiers», analyse lui aussi Pierre Bayard, professeur de littérature à Paris VIII et psychanalyste. Cette atmosphère effrayante est renforcée par le fait que l'histoire se déroule en huis clos. Comme les personnages, lecteurs et lectrices sont prisonnier·es de l'île et assistent, impuissant·es, à un assassinat de masse, sans parvenir à en identifier l'auteur.

Suspense et scénario novateur; il n'en fallait pas plus pour voir fleurir de multiples adaptations. Depuis sa sortie en 1939, le livre a inspiré des dizaines de films, séries télévisées, feuilletons radio et pièces de théâtre –dont une créée par la reine du crime en personne. Et «les actualités au cinéma ou à la télévision incitent les gens qui n'ont jamais lu Agatha Christie à le faire», affirme Carla Briner, des Éditions du Masque.

Adaptations et relectures

Ces dernières années encore, la société Agatha Christie limited a travaillé sur plusieurs adaptations. «Nous avons fait une série sur la BBC [en 2015, ndlr], une émission de télévision japonaise [en 2017] et une série française qui sera diffusée l'année prochaine», énumère l'arrière petit-fils de l'écrivaine, James Prichard.

Ce programme en six épisodes, intitulé Ils étaient dix, sera diffusé sur M6 au printemps 2020. Tourné en Guadeloupe, il a pour cadre un hôtel de luxe abandonné sur une île déserte tropicale. «On a voulu faire une adaptation contemporaine, avec des personnages plus jeunes, la parité rétablie et des crimes avec une résonance plus moderne», explique la productrice Sophie Révil, également responsable des Petits meurtres d'Agatha Christie sur France 2. Une version trop éloignée du texte original? «On reste fidèle au roman, assure-t-elle. Cette mécanique, ce plan diabolique pour envoyer dix personnes coupables sur une île et les torturer par la peur, restera identique. C'est ça l'esprit, et il fonctionne aujourd'hui encore.»

D'autres donnent une nouvelle vie au roman en l'étudiant en profondeur. C'est le cas de Pierre Bayard qui, dans son livre La Vérité sur Dix petits nègres, propose un dénouement alternatif à celui d'Agatha Christie. «La première fois que je l'ai lu, enfant, j'étais impressionné et terrifié par ce livre. Mais en le relisant plus tard, j'ai pensé que ça ne tenait pas la route», explique-t-il.

«C'est une bonne histoire, et les bonnes histoires résistent à l'épreuve du temps.»
James Prichard, arrière-petit-fils d'Agatha Christie

Certains détails lui semblent incohérents, comme la localisation de l'île, qui se trouve à une distance raisonnable du rivage. D'après lui, les futures victimes auraient pu tenter de s'enfuir à la nage s'il n'y avait pas eu cette violente tempête. «C'est là que la question se pose: comment l'assassin pouvait-il prévoir qu'il y aurait une tempête? s'interroge Pierre Bayard. Il avait forcément un autre plan en tête.» Lui désigne un autre coupable dans son livre, qui sonne comme un hommage: «Son roman est tout de même une très grande réussite, avec un dispositif extrêmement astucieux.»

Quatre-vingts ans après sa sortie, il ne manque à Dix petits nègres qu'une adaptation hollywoodienne. Ce sera chose faite dans les années à venir –Agatha Christie limited travaille en ce moment-même sur le projet. Et ce succès n'a rien d'étonnant pour James Prichard: «C'est une bonne histoire, et les bonnes histoires résistent à l'épreuve du temps.»



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