Décédé le 19 février 2016 d’un cancer, le professeur aux multiples dons, romanciers inqualifiables et plus grand défenseur de la lecture, Umberto Eco connaîtra une nouvelle vie. « Qui ne lit pas, à 70 ans, aura vécu une vie solitaire. Celui qui lit aura vécu 5000 ans. La lecture, c’est l’immortalité à rebours », écrivait-il. Au point même de se réjouir que l’on pirate ses livres, et qu’on puisse de la sorte les lire partout.
Restait donc à savoir comment organiser cette succession et l’héritage de livres qu’il laissait. Au menu, la Bibliotheca semiologica Curosa, lunatica, magica et pneumatica, qui compte 1200 livres anciens, qui partira à la Bibliothèque nationale Braidense de Milan. Le reste sera donc confié à Bologne.
Trois années de négociations, enfin conclues
Eco, qui se présentait comme un philosophe, écrivant des romans seulement le week-end était né à Alexandrie en 1932. Il passera une partie de sa vie à Turin avant de s’installer à Milan : la ville lui servira de décor au Pendule de Foucault (1989), l’un de ses plus célèbres ouvrages. Mais il restera évidemment connu pour Le nom de la rose, traduit en 40 langues et vendu à plus de 50 millions d’exemplaires.
Dans un communiqué de presse, le MiBACT annonce que le processus d’acquisition et de donation entamé en 2018 prend désormais fin. « L’État garantira sa conservation, sa mise en valeur et son utilisation pour les étudiants et les universitaires. Un comité scientifique composé de cinq membres, dont deux nommés par les héritiers de Eco et deux autres par le MiBACT sera chargé d’établir les modalités de conservation. Et ce pour en assurer également l’unité dans la consultation numérique. »
Francesco Ubertini, recteur de l’université de Bologne est fou de joie : « Je suis enthousiaste, car cela signifie que la bibliothèque et les archives arriveront à l’Université. C’est-à-dire qu’elle fournira tous les outils nécessaires aux universitaires et en particulier, à tous ceux qui font partie du Centre d’études lié à Eco. »
Imaginer en ces murs des ouvrages que l’écrivain a pu feuilleter, parcourir et commenter donne le vertige. Selon le recteur, il y a là « un grand continent à explorer, et nous construirons un atelier pour que cette exploration ait lieu ». Enfin, c’est un retour à la maison pour Eco : enseignant à Bologne, il y aura passé plusieurs années.
Maintenant que les éléments contractuels sont achevés, peut venir le temps du transfert physique des volumes. Et les mesures de prudence se multiplient par avance pour en garantir le bon déroulement.
À l'occasion du documentaire Umberto Eco, Sulla memoria. Una conversazione in tre parti, en 2015, le réalisateur Davide Ferrario a eu accès au domicile d'Umberto Eco, et à sa bibliothèque personnelle. Un dédale de couloirs et d'étagères, et une caverne d'Ali Baba dont rêve chaque lecteur. On peut le suivre, en vidéo, ci-dessous :
Une vidéo extraordinaire d'Umberto Eco arpentant sa spectaculaire bibliothèque
Umberto Eco - bib perso.jpg
![Umberto Eco dans sa maison de Milan, envahie par les livres (DR).](https://www.archimag.com/sites/archimag.com/files/styles/article/public/web_articles/image/Umberto%20Eco%20-%20bib%20perso.jpg?itok=hjor5x8M)
Lecteur assidu, bibliothèque vivante et collectionneur d'ouvrages, Umberto Eco en possédait des dizaines de milliers. Découvrez à quoi ressemblait sa propre bibliothèque : le fantasme de tout amateur de livres !
50 000. C'est le nombre de livres que possédait Umberto Eco, dont plus de la moitié était conservés dans l'ancien hôtel devenu sa résidence de Milan. L'écrivain et sémiologue disparu le 19 février dernier, qui aimait comparer dieu à une bibliothèque, avait recouvert d'étagères les longs couloirs desservant les chambres pour y aligner des dizaines de mètres de rayonnages. Un dédale d'ouvrages dans lequel il allait régulièrement puiser des idées de sujets pour ses romans et au sein duquel il savait retrouver chaque titre en un instant. Amateur de manuscrits, Umberto Eco en avait même sélectionné quelques-uns pour les exposer sous des vitrines de verre, dans son salon.
"C'est à rendre folle ma secrétaire"
Au Monde de l'Education qui l'interrogeait en avril 1997 sur la façon dont était organisée sa propre bibliothèque, Umberto Eco avait répondu :
"Cela dépend des sections. Les livres anciens sont d'un côté, les romans contemporains rangés par ordre alphabétique, selon les pays. Mais les essais ont des divisions qui correspondent à mes centres d'intérêt actuels. Un livre sur l'esthétique médiévale est rangé dans le Moyen Âge. Mais si je fais un essai sur différents moments de l'esthétique, il quittera sa place pour rejoindre les livres d'esthétique. Cela change donc continuellement selon les critères de travail, avec néanmoins des divisions permanentes - la linguistique, la philosophie contemporaine, etc. Mais il y a des rayonnages de transit. Si je fais un certain travail, il y a un regroupement de livres de linguistique, de psychologie par exemple, qui se défera dans six mois. C'est à rendre folle ma secrétaire. Je ne peux pas lui téléphoner pour lui demander de me trouver un livre précis. Je peux juste lui dire, parce que j'ai une bonne mémoire visuelle : "Faites sept pas verticaux, après tournez 45° à droite, levez la main à 1,35 mètre". Peut-être alors aura-t-elle une chance de le trouver".
![La bibliothèque d'Umberto Eco préservée à l'université de Bologne](https://www.fabula.org/medias/image-defaut.jpg)
La bibliothèque d'Umberto Eco préservée à l'université de Bologne
![](https://images.theconversation.com/files/113195/original/image-20160229-4110-zc6201.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=926&fit=clip)
Nous sommes très nombreux à être affligés par la disparition d’Umberto Eco. Livres Hebdo lance un « Ciao Umberto Eco ! » « Lire Umberto Eco fait toujours du bien ! » titre Jean-Michel Zakhartchouk sur son blog. Le journal Le Monde cite son apologie du journalisme critique, et le présente comme « le plus lettré des rêveurs ».
Tout le monde salue son érudition, son humour, son alacrité. Nous restons sous le charme de sa verve italianisme, de sa rondeur joviale joliment exprimée dans ses réponses au questionnaire de Proust cuisiné par le maître Bernard Pivot.
Par contre sa relation fusionnelle avec les bibliothèques est moins mise en exergue alors qu’elle nous semble cardinale dans sa réflexion. Umberto Eco, expert en théorie du complot mais aussi bibliothécaire in petto, expose cette conjuration. « Si Dieu existait, il serait une bibliothèque » affirmait-il.
Dans une conférence donnée à Milan le 10 mars 1981 pour le 25e anniversaire de l’installation de la bibliothèque communale dans le palais Sormani, publiée sous le titre De Bibliotheca, il déclare « La bibliothèque doit avant tout être un immense cauchemar… »
Borgès et Aristote
Il récidive dans Le Nom de la Rose (Grasset, 1982). Il décrit avec malice une bibliothèque cauchemardesque qui tue pour conserver ses livres les plus rares. Jorge Luis Borgès et Aristote sont les référents de ce polar médiéval. La Bibliothèque, labyrinthe physique et métaphysique, extermine tous les contrevenants à sa Règle. Le roman a fait l’objet d’une adaptation cinématographique de Jean-Jacques Annaud en 1986, laquelle amplifie encore son statut de best-seller mondial. Le miracle d’un casting et d’une scénographie inspirés – Sean Connery en Guillaume de Baskerville, Christian Slater en Adso de Melk tenté par la flamboyance du désir amoureux incarnée par Valentina Vargas en jeune paysanne ou Lucien Bodard en cardinal-légat du pape- concrétise l’imaginaire du lecteur et pousse le spectateur à la lecture. Les deux œuvres se complètent, se valorisent et présentent un kaléidoscope des facettes et des fantasmes engendrés par le mythe de la bibliothèque encyclopédique.
Cela finit (ou cela continue) en un incendie grandiose. Allusion au Buisson ardent qui brûle sans jamais se consumer et par lequel Yahvé se révèle à Moïse ? Allusion à l’incendie de la bibliothèque universelle d’Alexandrie s’imposant comme une « scène primitive », une scène originelle traumatisante au sens freudien, marquant l’inconscient collectif des bibliothèques et des bibliothécaires et les écartelant à perpétuité entre les missions de conservation, de protection et de diffusion et d’accès universel aux collections qu’ils constituent ? Parabole de la genèse éruptive de tout savoir, de la fièvre créatrice ? Annonce prémonitoire d’un autodafé généralisé de la culture classique fomenté par la société de l’information immédiate et narrative ?
L’alchimie de la rencontre du sémioticien Eco et du cinéaste Annaud fabrique une espèce de pierre philosophale – réputée transformer un métal vil en métal précieux – où l’utopie, et non le verbe, se ferait chair.
On ne peut s’empêcher d’établir la relation avec Fahrenheit 451, roman de Ray Bradbury, (Ballantine books, 1953, Denoël, 1955), dystopie, à l’opposé de l’utopie, elle présente un monde cauchemardesque et détestable. Le livre y est un objet de haine sociétale car il perturbe l’anesthésie produite par la culture de masse. Là encore l’adaptation cinématographique de François Truffaut en 1966 avec Oskar Werner en pompier, Guy Montag et Julie Christie en Clarisse et Linda Montag, illustre magnifiquement le roman.
L’errance créative, Graal du chercheur ?
Plus profond encore, Umberto Eco dévoile le complot de la classification. Elle représente l’ordre de la bibliothèque et l’ordre pour la bibliothèque, et parfois le désordre voire le désarroi, pour le lecteur. Elle organise les connaissances et les enferme en même temps, les empêchant de communiquer entre elles. Les collections des bibliothèques se constituent entre la classification, organisation intellectuelle des connaissances présentant une vision du monde, et le classement, rangement des documents sur les rayonnages pour optimiser l’espace.
L’utilisateur doit apprendre à chercher, puis à trouver, sans l’aide ou la médiation d’un bibliothécaire. La navigation entre les travées de la bibliothèque, en magasin ou libre accès, comme sur le web apparaît comme le mode d’accès aux connaissances le plus facile et le plus intuitif. L’utopie serait donc de vouloir inventer une classification universelle à l’usage de tous. La réalité et le Graal seraient donc l’errance créative, la sérendipité, quelles qu’en soient les modalités pratiques.
L’ultime complot dénoncé mezza voce par Umberto Eco serait donc celui de Google et consorts. Il en exorcise les ramifications par la cérémonie laïque de ses obsèques. J’espère que ce bref papier en est l’humble écho.
La famille d'Umberto Eco lègue les quelque 30.000 ouvrages de sa bibliothèque à l'Italie
Le Ministère italien du Patrimoine et de la Culture a annoncé être parvenu à un accord avec la famille de l’écrivain, après deux ans de négociations.
Décédé en 2016, le romancier Umberto Eco a laissé derrière lui un immense héritage. Outre son œuvre (dont le célèbre roman Le Nom de la Rose), il était également à l’origine d’une impressionnante collection de livres modernes et anciens, composée de 30.000 titres.
Un patrimoine volumineux, que la famille et l’Etat italien ont voulu rendre accessible au plus grand nombre. Ainsi, les ouvrages modernes et les archives de l’auteur seront prêtées durant 90 ans à l’Université de Bologne, où Eco fut enseignant durant une trentaine d’années. La collection d’ouvrages anciens, qu’Eco avait intitulée Bibliotheca semiologica curosa, lunatica, magica et pneumatica, sera conservée par la bibliothèque nationale de Milan.
L’État garantira sa conservation, sa mise en valeur et sa concrétisation aux étudiants et aux universitaires.
précise le communiqué du Ministère.
L’accord prévoit également qu’un comité soit chargé de définir les modalités de conservation de cet important patrimoine littéraire, ainsi que les conditions dans lesquelles il pourra être partagé numériquement.
essai|Nouvelle parution
![A. Leiduan, Umberto Eco & les théories du complot. Contre le complotisme. Au-delà de l'anticomplotisme](https://www.fabula.org/actualites/documents/91445.jpg)
A. Leiduan, Umberto Eco & les théories du complot. Contre le complotisme. Au-delà de l'anticomplotisme
Alessandro Leiduan,
Umberto Eco & les théories du complot. Contre le complotisme. Au-delà de l'anticomplotisme
Editeur : Ovadia, coll. "Chemin de pensée"
ISBN 978-2-36392-319-6
Prix : 22,00 €
Cet ouvrage étudie le phénomène du complotisme à partir de l’œuvre de l’écrivain italien Umberto Eco. La vitrine principale de ses idées sur le sujet est constituée par l’ensemble de ses romans: Eco y étudie les implications entre les croyances complotistes et certains mécanismes psychologiques et culturels ayant permis, à toutes les époques de l’histoire, d’identifier de faux cou pables en leur imputant la responsabilité du mal qui sévit dans le monde, afin de se libérer de tout remords ou de toute responsabilité. Eco considère les théories du complot comme une «variante moderne» d’une forme d’irrationalité très ancienne, dont les principales préfigurations historiques seraient, selon lui, l’hermétisme et le gnosticisme. Mais la rationalité au nom de laquelle il condamne les théories du complot est peut-être plus irrationnelle encore que celle qu’il dénonce. S’il ne fait aucun doute, en effet, que les théories du complot témoignent d’une forme d’irrationalité, il est évident aussi qu’elles ne sont pas le seul avatar de l’irrationalité contemporaine et que ses autres ramifications (y compris celles qui se nichent dans le modèle d’organisation économico-politique actuellement dominant) mériteraient d’être examinées avec autant de rigueur critique...
Alessandro Leiduan est Agrégé d’italien et enseigne à l’université de Toulon en qualité de Maître de conférence. Fondateur du «Réseau pour l’étude du complotisme», il a traduit pour les éditions Ovadia, Encore Marx ! de Diego Fusaro.
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