joi, 30 septembrie 2021

Proust / Céleste Albaret

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Livre

«Céleste Albaret», une vie à l’ombre de Proust

Laure Hillerin s’est intéressée à la figure de celle qui fut la servante de l’écrivain. De la tyrannie domestique qui dura huit ans au vide d’après sa mort.
par Yannick Ripa
publié le 30 septembre 2021 à 9h25

Récompensée en 2015 pour son livre la Comtesse Greffulhe du prix Céleste Albaret – qui honore, posthumement, la servante de Proust pour son rôle dans la transmission mémorielle de celui-ci –, Laure Hillerin, spécialiste des figures de la Belle Epoque, ne pouvait que s’intéresser à celle dont la vie serait restée bien immobile si elle ne s’était consacrée, durant huit ans, aux exigences capricieuses de son maître, acceptant sa tyrannie domestique. A travers le moindre geste de la domestique et les souvenirs de cette «captive» volontaire, évoqués, entre autres, dans son Monsieur Proust (Robert Laffont, 1973), cet ouvrage pénètre dans le quotidien de l’auteur de la Recherche, alors que celui-ci se protégeait à l’extrême, de plus en plus reclus dans sa chambre. Ce récit-là ravira, c’est certain, les proustophiles et conduira les autres à découvrir des pans de la personnalité complexe de l’écrivain ; ceux-ci regretteront, cependant, de ne pas toujours être davantage informés sur les personnes évoquées par la biographe ; immergée, de longue date, dans ce passé, elle en oublie, parfois, que son savoir est peu commun.

Etre d’exception

Laure Hillerin n’en parvient pas moins à plonger le lectorat dans l’univers proustien, décryptant dans le corps du texte, dans des annexes fouillées et dans une centaine de pages intitulées «Sources et précisions», les liens entre la réalité et la construction romanesque, repérant, ainsi, les traces de Céleste dans les personnages de la Recherche. Source d’inspiration, celle que son employeur nommait «sa Joconde» pour son éternel sourire, cette «jeune femme en fleurs», son amie, bien qu’il la trouvât souvent trop directive à son égard, la belle et fière Céleste ne vit que pour ce «génie», s’interdisant même la maternité : «Je suis née de la mort de Proust», affirmera sa fille, Odile. De fait, le décès de celui-ci, en 1922, contraint Céleste, d’abord atteinte de sidération, à repenser totalement son avenir. Comment supporter l’anonymat, provoqué par la fin d’une cohabitation avec cet être d’exception, et celle du côtoiement de l’élite littéraire et artistique ? Il lui faut accepter de retomber dans une existence qualifiable de minuscule, ce dont le défunt l’avait prévenue, la devinant vite oubliée de ceux qui la courtisaient pour que ce Cerbère de sa tranquillité baisse la garde !

Retour en grâce

Dans le petit hôtel de la rue des Canettes, acquis par le couple Albaret, l’ancienne gouvernante se sent «orpheline» et «déracinée», sans être vraiment seule, car elle est passée du dévouement à la dévotion ! Proust continue de l’habiter : elle vit à travers lui et il survit à travers elle, alors que son œuvre est vivement critiquée par la jeune génération d’écrivains. Ce sont des admirateurs étasuniens qui, à l’aube des années 50, la sortent de son «purgatoire» et signent ainsi le retour en grâce de celle qui s’attacha à Proust, dans son ombre. La biographe suit, avec brio, cette entreprise de réhabilitation qui verse dans la proustomania, à laquelle Céleste n’est pas étrangère : elle se pose en unique gardienne de la mémoire de Monsieur, contre tous ceux qui prétendent commenter ses écrits, son existence, et qui, plus est, ses mœurs, et qui la méprisent, si souvent. Jusque dans sa modulation vocale, elle réincarne ce «dieu», à côté duquel tout le monde lui paraît «vulgaire», une démarche qui lui vaut même les honneurs de la République. Si la captive de Proust ressemble souvent à la Félicité de Flaubert, elle n’est pas, elle, «un cœur simple».

Laure Hillerin, A la recherche de Céleste Albaret : l’enquête inédite sur la captive de Marcel Proust, Flammarion, 506 pp., 23,90€ (ebook : 15,99 €).
https://www.liberation.fr/culture/livres/celeste-albaret-une-vie-a-lombre-de-proust-20210930_JNAYJSVFGJDFJDC6TM3IQHF3SQ/

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